Chronique cinéma

Haïti chérie

Film italien de Claudio Del Punta

Haïti, Saint-Domingue, deux terres jumelles qui se partagent inégalement l’île d’Hispaniola. Avantagée en superficie, en ressources agricoles et en infrastructures touristiques, Saint-Domingue attire de nombreux braceros haïtiens. Manœuvres sans qualifications ni papiers, ceux-ci finissent – après de coûteuses tractations – surexploités, dans les plantations de canne à sucre. Regroupés généralement dans les bateys, zone de non-droit qui tolère leur statut de travailleurs clandestins au prix de toutes les vexations, ils échappent à tous les contrôles. Les bateys sont des poches d’esclavagisme intercaraïbes, qui ne respectent aucun des droits fondamentaux de l’homme ou du travail. Les indigènes dominicains, en majorité mulâtres, y exploitent les migrants haïtiens, plutôt noirs, dans une situation coloniale et raciste. On prend la mesure de la complexité de ces clivages si l’on tient compte des chiffres : environ 1 million de clandestins sur 9 millions d’habitants. Ce qui a permis à une opinion publique parfois xénophobe de parler “d’invasion pacifique”. C’est à partir de cette situation tragique des travailleurs haïtiens à Saint-Domingue – qu’aucune instance internationale n’a pris la peine de dénoncer ou de réglementer – que le réalisateur italien Claudio Del Punta a choisi de développer un film original, qui mêle satire sociale et comédie musicale – l’action est agrémentée et commentée par des lyrics et des chansons populaires de Toto Bissainthe –, love story sensuelle et road-movie dramatique. Le film a aussi des accents sincères et réalistes qui l’apparentent à un documentaire, forme cinématographique dont l’auteur est coutumier. Depuis 2003, il s’est d’ailleurs consacré à des témoignages sur les Caraïbes : La Republica dominicana e il suo carnevale (2005), Santiago de Cuba (2005), Viaggio à Jacmel (2006), Inferno tropicale (2006), avant d’y développer Haïti chérie, sa première fiction. C’est donc avec l’acuité du reportage que nous est décrite la misère quotidienne d’un jeune couple de travailleurs clandestins : Magdalena et Jean-Baptiste – Yeraini Cuevas et Valentin Valdez, interprètes non professionnels comme la majorité des acteurs du film, émouvants de simplicité et de sincérité. Ils viennent d’être frappés par le pire des malheurs : la mort de leur enfant unique – par malnutrition, fléau endémique qui sévit sur l’île avec la crise sucrière. Ils n’ont que trop hésité. Ils veulent maintenant à toute force quitter le Batey et revenir sur leur terre d’origine et d’enfance, qui prend, aux contrastes des souvenirs, des allures de paradis perdu. La tentative de viol de la part des gardes- chiourmes dont Magdalena est victime et la bagarre qui s’ensuit rend la décision irrévocable. Avec la complicité d’Ernesto – Juan Carlos Campos –, médecin fantasque toujours en butte aux abus de pouvoir des autorités, et en compagnie de Pierre – Jean-Marie Guérin –, un jeune adolescent orphelin follement amoureux de Magdalena, oublieux des leçons du passé, ils entreprennent le périlleux voyage vers le pays de leurs chimères. Une histoire simple et cruelle, pleine d’images émouvantes et belles qui ne font qu’ajouter de la force à la dénonciation.