Article de dossier/point sur

Introduction

maître de conférence en anthropologie sociale, université Bordeaux III et UMI CNRS 3189 ESS Dakar/UMR et CNRS 5115
maître de conférence en sociologie, université Paris-Ouest-Nanterre (Sophiapol)

Le champ des migrations internationales et des relations interethniques en France s’est largement construit à partir des années 1970 dans le cadre de la sociologie du travail, en référence à des ouvriers vivant en milieu urbain. Or, sans nier le postulat selon lequel les migrations internationales touchent davantage les villes, les contextes ruraux européens ont tout de même connu l’immigration pendulaire d’ouvriers agricoles, puis le regroupement familial d’une partie de ceux-ci, enfin, aujourd’hui encore, des migrants ou des travailleurs détachés dans le cadre de la prestation de services internationale continuent d’arriver.

Le présent dossier souhaite éclairer ces figures de migrant(e)s dont l’invisibilité sociale relève à la fois de la structuration de la figure ouvrière dans l’industrie urbaine et dans la grande industrie tout autant que de la partition urbain/rural qui s’est imposée dans les années 1960. Dans le sillage de la tradition pragmatiste de l’université de Chicago qui a appréhendé la situation des paysans débarqués en bateau dans les villes d’Amérique du Nord et à l’affût des logiques de “déculturation” pour ces “paysans dépaysannisés”(1), les spécialistes des migrations, depuis les années 1980-1990, se centrent sur la ville, placée au cœur des sociétés industrielles. Les ouvriers agricoles saisonniers n’échappent pas à une perception qui assigne les migrants à une présence temporaire.

Les migrants recrutés en tant qu’ouvriers agricoles ou plus récemment comme ouvriers des industries agro-alimentaires ont donc été longtemps négligés par la recherche, à quelques exceptions près. Toutefois, dans les pays européens où, comme en France, l’économie et les savoir-faire des exploitations agricoles ont engendré une réflexion sur la modernisation et sur la conservation de la mémoire d’un monde en train de disparaître, différents spécialistes des migrations ont progressivement élargi les enquêtes sur le péri-urbain et sur des contextes proprement ruraux(2) tels que la région PACA. Avec l'implantation de cultures intensives de primeurs dans les années 1960-1970, puis avec la mise en concurrence des bassins de production du monde entier (OMC), une histoire particulière avec l’immigration de saisonniers étrangers arrivés d’Afrique du Nord s’est développée, jusqu’à susciter l’intérêt des militants et de chercheurs.

Depuis, les politiques agricoles et les politiques migratoires européennes ont engendré une harmonisation par le haut du statut juridique d’ouvrier agricole, lequel mérite d’être interrogé, plus particulièrement dans le contexte de l’Union européenne, des pays qui viennent de la rejoindre et de ceux qui s’apprêtent à le faire ou qui en sont les candidats depuis longtemps comme la Turquie(3).

Notes

1. Pierre Bourdieu, Abdelmalek Sayad, Le Déracinement, Paris, Éd. de Minuit, 1964.

2. Jean-Pierre Berlan, “L’agriculture méditerranéenne de la France : dynamiques et contradictions”, in Économie rurale, n° 153, 1983, pp. 42-49 ; Chantal Crenn, “Normes alimentaires et minorisation ethnique : discours et pratiques de femmes originaires du Maroc (vignoble bordelais)”, in Journal des anthropologues, “Des normes à boire et à manger. Production, transformation et consommation des normes alimentaires”, n°106-107, 2006, pp. 123-144 ; Alain Morice, “Les saisonniers agricoles en Provence : un système de main-d’œuvre”, in GISTI, Immigration et travail en Europe. Les politiques migratoires au service des besoins économiques, Actes de la journée du 21 mars 2005, mai 2005, pp. 17-26 ; Alain Morice, Swanie Potot (dir.), De l’ouvrier immigré au travailleur sans papiers. Les étrangers dans la modernisation du salariat, Paris, Karthala, 2010.

3. Une introduction plus étayée de ce dossier avec les références citées dans ce texte est accessible sur le site de la revue : http://www.hommes-et-migrations.fr.