Chronique cinéma

L'avocat de la terreur - Barbet Schroeder

“J’aime les monstres”, proclame sans ambages le réalisateur de L’Avocat de la terreur. Depuis Général Idi Amin Dada, en 1974, on s’en doutait un peu. Pourtant, le film-enquête qu’il consacre à Jacques Vergès, avocat sinueux et sulfureux d’un florilège de causes à sensation, n’est ni un plaidoyer, ni un réquisitoire. C’est une sorte de suivi distancié et néanmoins méticuleux du parcours “héroïque” de l’un des acteurs les plus exposés et les plus secrets, les plus vénérés et les plus haïs de la sphère politico-judiciaire de la fin du siècle dernier. Personnage digne du plus touffu des romans d’espionnage, tribun diabolique des causes les plus explosives, avec lequel on n’est jamais au bout de surprises, même s’il donne, aujourd’hui, l’impression d’avoir renoncé à ses principales motivations au profit d’une carrière plus rémunératrice. On peut considérer que la véritable vocation de cet avocat très engagé a commencé avec la guerre d’Algérie, quand il a pris fait et cause pour les rebelles algériens au-delà de toute position objective et qu’il est devenu leur incontournable défenseur, plus prisé dans les milieux nationalistes que les membres du collectif progressiste créé en France à cet effet, ou même du groupe de juristes d’origine maghrébine restés dans la légalité pour défendre leurs compatriotes indépendantistes et “rebelles”. Outrepassant toutes les règles d’une profession – comme il le pratiquera souvent – en nouant des amitiés virulentes, des communions idéologiques, voire des relations sentimentales avec de nombreux “clients”. Ainsi de Bachir Boumaza, futur ministre de Ben Bella, de Mohammed Boudia de la Fédération de France du FLN et proche de l’OLP, responsable d’attentats avant de se consacrer à la vie culturelle, de Yacef Saadi, artisan de la bataille d’Alger, et surtout de Djamila Bouhired, figure héroïque de la résistance urbaine au féminin (bombes de l’Otomatic, du Milk Bar, du casino de la Corniche), qu’il épousera, après une éphémère conversion à l’islam, et avec laquelle il aura deux enfants. En réalité, ce destin si imprévisible, avec ces tête-à-queue idéologiques, ces cabrioles médiatiques, ces funambulesques prises de position, était peut-être scellé à l’origine dans une haine viscérale du colonialisme – et plus largement de l’Occident démocratique. Tout était peut- être écrit dans la prime jeunesse de cet enfant métis, né en 1925, en Thaïlande, d’un père réunionnais et d’une mère vietnamienne. On peut voir dans ces sentiments d’origine la constante qui expliquerait, à défaut de les excuser, les adhésions successives ou simultanées à des idéologies, des identités, des utopies meurtrières, avec ce goût prononcé pour les liaisons dangereuses (de Pol Pot à Barbie, des membres de la Stasi à ceux d’Action directe, de Carlos à Miloševic, de l’Iranien Anis Naccache à l’Irakien Saddam Hussein, du révisionniste Roger Garaudy au banquier suisse et nazi François Genoud... Mais l’adhésion plus ou moins ostensible à des causes où se mêlent tiers-mondisme et révisionnisme, antisémitisme et solidarité avec les damnés de la terre ne donnent pas toute la mesure des ambiguïtés de cet homme avide de notoriété et de profits, menant aussi facilement une vie de proscrit que de nabab, avec ses allures de détective ascétique ou de salonnard à cigares, amateur de femmes, de bonne chère et de grands crus, adoptant à volonté les postures de salaud sarcastique ou de séducteur, fascinant les journalistes lancés à ses trousses (Lionel Duroy, Patricia Tourancheau...) et des intellectuels (Georges Arnaud, auteur du Salaire de la peur, le dessinateur Siné...), entrant sur le tard, avec ravissement, sur la scène médiatique dite people, forçant la note pour se faire le défenseur de Louise-Yvonne Casetta, trésorière du RPR dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, ou du jardinier marocain Omar Raddad (avec la fameuse accusation “Omar m’a tuer”). Et puis, pour épaissir le mystère, il y eut cette opaque disparition de plusieurs années. Comme un passage à vide, un trou béant dans la couche d’ozone de cette vie pleine de tumulte. Le film