Chronique livres

La Guerre d'Algérie de Guy Pervillé

Carnets d'Orient, Denrière demeure de Jacques Ferrandez

Guy Pervillé, historien spécialiste de la colonisation et de la décolonisation, professeur à l’université de Toulouse-Le Mirail, est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Pour une histoire de la guerre d’Algérie (Picard, 2002) qui fut l’objet en son temps d’une recension dans ces colonnes. Ce petit ouvrage revient donc sur le drame algérien de manière didactique et chronologique et incite à réfléchir ou revisiter quelques thèmes qui ne sont pas sans résonance aujourd’hui. Ainsi, à grands traits bien sûr, G. Pervillé montre-t-il que la pénétration française dans ce qui allait devenir l’Algérie ne fut pas une partie de plaisir. Violente, destructrice, sauvage par bien des épisodes, elle dut faire face à une longue résistance (jusqu’en 1857) et essuyer bien des révoltes et ce, jusqu’à la veille même de la naissance du mouvement nationaliste. Une fois de plus, se vérifie le précepte selon lequel on ne fait pas le bonheur des peuples contre leur volonté. Comme certains demeurent sourds aux leçons de l’histoire, tout est bon, aujourd’hui encore, pour justifier qui, une intervention (en Irak ou peut-être ailleurs demain), qui, quelques conseils d’un autre âge distillés à bon compte à des populations qui ne seraient “pas assez entrées dans l’histoire” (voir le discours du président Sarkozy à Dakar en juillet 2007). Eh bien, non seulement le surgissement meurtrier de la soldatesque française sur la terre algérienne fut un désastre humanitaire, mais, de plus, Guy Pervillé rappelle que la présence française en Algérie, au moins sur le plan démographique et sociétal, fut “un échec relatif”. Si la population recensée comme française passe de 100 000 en 1856 à un million en 1954, la moitié de cet accroissement est due à l’assimilation des étrangers européens et à celle des Juifs d’Algérie. À la veille de l’insurrection algérienne, les Français d’Algérie ne représentaient que 10 % du total de la population ; 10 % dont 80 %, toujours en 1954, étaient concentrés dans quelques grandes villes : Oran, Sidi-Bel-Abbès, Alger, Bône ou Philippeville. Dans la société coloniale, société inégalitaire marquée par la “superposition des races”, les “indigènes”, soit l’écrasante majorité de la population, se retrouvaient écrasés, pressurisés tout en bas du mille-feuille social et “racial”, selon les préceptes de l’idéologie coloniale. Ainsi, bien sûr, tout allait pour le mieux dans l’Algérie de papa... Une fois de plus, il est donné de voir à quel point l’aveuglement de la métropole et de quelques colons scella le destin d’un pays et de ses populations, embarqués malgré eux et sur plusieurs générations dans le tourbillon sans fin de la violence. Qu’il s’agisse de la IIIe ou de la IVe République, Guy Pervillé montre les impasses des politiques algériennes, les tergiversations et les manipulations pour éviter de mettre en œuvre les réformes indispensables, puis le refus obstiné de négocier avec l’adversaire. La violence prit toujours le dessus sur le dialogue. Inutile et désastreuse violence ! À l’instar de cette funeste bataille d’Alger, “remportée” par le général Massu et ses hommes avec les méthodes que l’on sait. Plus que tous les arguments philosophiques ou éthiques contre l’usage de la torture, les faits parlent d’eux-mêmes : huit mois seulement après que les troupes de Yacef Saadi aient été matées, le terrorisme, un temps vaincu, réapparait ; et l’auteur précise “qu’il se manifestait de plus en plus fréquemment dans la ville et ses environs, par suite de l’allégement du quadrillage”. Même si cela n’est pas l’objet de ce livre, qui entend se placer “dans une perspective centrée sur la France”, il convient de dire aussi que les méthodes du FLN, non seulement n’eurent rien à envier à celles qui étaient utilisées par les forces françaises, mais, souvent en conscience, accentuèrent la tragédie. À ce propos et dans le cadre des bilans de la guerre, Guy Pervillé montre que les victimes du terrorisme du FLN sont d’abord et avant tout algériennes ou musulmanes (2 788 civils européens tués pour 16 378 musulmans et 7 541 blessés du côté de la population européenne pour 13 610 du côté musulman). Et encore, ne sont comptabilisés ici ni les disparus ni les victimes de la guerre fratricide entre le FLN et le MNA de Messali Hadj. Dans cette “perspective française”, un autre constat s’impose : l’échec de la gauche et la nécessité, pour mettre un terme au conflit comme pour éviter, peut-être, une guerre civile ou la menace d’une dictature, de “l’intervention d’un homme providentiel”. En revenant au pouvoir, le général De Gaulle savait-il ce qu’il allait faire ? Sempiternelle interrogation que n’élude pas l’auteur : “De Gaulle savait donc, bien avant de revenir au pouvoir, dans quelle direction il orienterait sa politique, mais sans en avoir fixé le calendrier à l’avance”. Guy Pervillé consacre plusieurs pages à cette question, montrant comment le général dut composer avec les hommes, les situations, l’évolution des rapports de forces... pour “conduire l’Algérie vers son indépendance”. De ce point de vue, la politique du général De Gaulle était en phase avec l’opinion publique nationale, à tout le moins métropolitaine, comme l’attestent les différents sondages de l’époque. Une opinion que ne se priva pas d’utiliser le général De Gaulle, via “l’usage du référendum [qui] lui permit de résister aux pressions violentes des partisans de l’Algérie française.” Dans un dernier chapitre, Guy Pervillé se demande “si cette guerre est vraiment finie” : il faut croire que non, devant la guerre des mémoires et son utilisation, notamment au sommet de l’État algérien, comme pomme de discorde dans les relations franco-algériennes. À quand un référendum pour consulter les premiers concernés, les peuples français et algérien, qui ont su de mille et une manières lier leur destin sans céder aux jeux sordides des instrumentalisations politiques et idéologiques d’une tragédie dont le peuple algérien, aujourd’hui encore, paye le prix ? Signalons aussi la parution du neuvième album de la fresque que Jacques Ferrandez consacre à la présence française en Algérie. Préfacé par le comédien et humoriste Fellag, La Dernière Demeure voit Samia et Octave, un temps exilés au Canada, revenir sur leur chère terre algérienne. Le récit court de 1958 au début de l’année 1960. Tandis que De Gaulle, d’une main, propose le droit à l’autodétermination et de l’autre, avec le plan Challe, maintient fermement la pression militaire, la révolte gronde chez les ultras de l’Algérie française et le mécontentement sourd chez certains officiers et sous-officiers de l’armée française.