Chronique cinéma

Le Mas des alouettes - Paolo & Vittorio Taviani

Le titre du film est trompeur. Ne vous attendez pas à quelque saga de l’été fleurant bon la lavande et l’aïoli. Les auteurs ont toujours davantage été attirés par les violences de l’histoire et les souffrances du peuple, comme dans Padre Padrone, en 1976, Kaos, en 1984, la Nuit de San Lorenzo, en 1982, Good morning Babylone, en 1986, la San Felice, en 2004. Il s’agit ici de l’adaptation d’un roman éponyme d’Antonia Arslan, La Masseria delle allodole, épisode particulièrement dramatique du massacre des Arméniens par les forces armées turques obéissant aux ordres du pouvoir en place. Nous sommes aux environs de 1915 dans une petite ville d’Anatolie d’apparence paisible. Malgré une situation internationale qui s’aggrave et qui ne saurait rester sans répercussions au niveau local – d’ailleurs des incidents à répétition se produisent et des rumeurs plus alarmistes encore circulent –, la famille Avakian, sous la houlette de son chef Aram (l’irréprochable Tcheky Karyo) et de l’intrépide Armineh son épouse (Arsinée Khanjian), continue à vivre dans l’insouciance, les adultes presque autant que les enfants, dont le jeune Avetis (Nicolo Diana) mène la troupe turbulente. En effet, toute une kyrielle de cousins et de proches s’est installée dans la résidence d’été, le Mas des alouettes, au fin fond de la campagne où l’on attend encore l’arrivée de l’oncle Assadour, médecin à Padoue, de retour d’Italie (Mariano Rigillo) et qui revient se fixer parmi les siens. On reçoit même un piano pour accompagner les festins et les soirées récréatives et danser le kochari ! Vous avez dit “risques imminents” ? Quels risques ? Quelle imminence ? Quand on est ancestralement attaché à cette terre... Quand on héberge Ismène, une Grecque (Angela Molina), pleureuse et nourrice, véritable gouvernante de toute la maisonnée, qu’on protège un Turc, Nazim, de la confrérie des mendiants d’Alep (l’inquiétant Mahammad Bakri), que toute la domesticité est turque et dévouée, qu’on a des rapports très amicaux, empreints de mondanités, avec le Colonel Arkan, commandant de la place (André Dussollier) et son extravagante épouse (Erica Maria Mondugno) et surtout, contre toute morale en vigueur, que la jolie et indocile Nunik (Paz Vega, la nièce bien aimée) a une liaison secrète avec Egon, brillant jeune officier de la garnison (Alessandro Preziosi). Pourtant l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de la France contre l’Autriche et l’empire de Turquie va changer la donne et enflammer les esprits. Il faut éliminer les ennemis de l’intérieur. Procéder à un véritable “nettoyage ethnique” dont les Arméniens feront en priorité les frais. Les accointances de la famille Avakian ne serviront à rien. Les hommes seront exterminés dans des flots de sang. Les femmes, sous brutales escortes, conduites vers Alep. Même la sollicitude (et l’amour) du brave soldat Youssouf (Moritz Bleibtreu) ne pourra atténuer le déchaînement de la barbarie. Ce sont ces horreurs multiples que le film étale sous nos yeux, et qui rendrait le spectacle souvent insupportable, n’étaient quelques ingrédients romanesques qui tentent (vainement) d’humaniser l’horreur. Les acteurs sont souvent remarquables, même si on peut déplorer que l’interprétation un peu hybride pour des raisons de production internationale manque parfois de cohésion. Un film à voir tout de même et qui apporte un témoignage non négligeable dans un débat revenu sur le devant de l’actualité.