Paradoxalement c’est presque une zone de silence que cette bande semi-désertique quelque part sur les 3 200 km de frontière entre le Mexique et les États-Unis. Sorte de goulot d’étranglement pour les passagers clandestins, à proximité néanmoins de la plaque tournante des échanges douaniers, licites et contrôlés. Silence que s’imposent les migrants pour ne pas être repérés. Se déplaçant “léger” pour résister à la soif, à la fatigue, à la chaleur, à la capture. Silence des populations autochtones par prudence et pudeur. Silence plus relatif des patrouilles, ou des milices citoyennes avec leur arsenal sophistiqué : véhicules et tenues camouflés, lunettes infrarouges, GPS, drones... On est loin d’un Mexique exubérant dans le débordement des moteurs et des mariachis. Le film n’est pas muet, mais taciturne, et quand viendra le temps des sérénades, elles seront empruntées à Debussy et lourdes de mélancolie. Originaire des environs de Oaxaca, province pauvre du Sud, Andrès, fermier démuni (Harold Torres), projette une nouvelle tentative pour franchir clandestinement la frontière. Son rêve est modeste, même pas accéder à l’“american way of life”, seulement trouver un quelconque emploi de “bracero” pour gagner sa vie. En attendant l’opportunité d’un passeur fiable, Andrès accepte de donner un coup de main à Ela l’épicière (Alicia Laguna) et à sa jeune employée Cata (Sonia Couch). La bonne marche de la boutique a besoin d’une présence masculine plus permanente que celle de leur vieil ami Asencio (Luis Cardenas). La sensualité vient troubler la quiétude du quatuor. Il y a des regards échangés, une sortie au cabaret, quelques verres de trop, l’étreinte d’une danse, une mélodie lancinante, des sous-vêtements féminins étendus sur un fil, un cactus miniature offert en cadeau. Fragments d’un désordre amoureux. Andrés ne sait plus s’il veut vraiment partir. Cata et Ela le poussent à rester. Seul Asencio est résolu à sortir du statu quo que lui impose un rival inégalable. Il s’engage à lui faire passer la frontière dans un fauteuil. Un film, le premier long-métrage de Rigoberto Perezcano, jusque-là documentariste (Avoir 15 ans à Zaachil), d’une émouvante délicatesse sur un sujet crucial pour les deux pays limitrophes et au-delà.