Chronique cinéma

Valse avec Bachir

Film documentaire d'animation israélien de Ari Folman

Entre versions officialisées et black-out des mémoires, sait-on ce qui s’est vraiment passé à Sabra et Chatila, camps de réfugiés palestiniens à l’ouest de Beyrouth, les 16 et 17 septembre 1982 ? Dans la guerre sans fin que se livraient Israéliens, Palestiniens et Libanais, ces massacres resteront l’un des épisodes les plus troubles et les plus meurtriers. L’histoire a retenu une version schématique qui permet les interprétations partisanes, dilue les responsabilités et englue les consciences dans un sentiment diffus de culpabilité. Le 14 septembre, Bachir Gemayel, nouveau président de l’Assemblée nationale libanaise, est assassiné. L’émotion est immense chez ses partisans des milices phalangistes qui lui vouaient un véritable culte. Ils se ruent dans les camps et, comme une sorte de nettoyage ethnique, massacrent combattants, civils, femmes, enfants, vieillards... faisant, selon les estimations, entre 500 et 5 000 (!) victimes. Ni Tsahal, ni les plus hautes autorités israéliennes n’ont réagi à temps pour empêcher cette “danse macabre”. La population traumatisée va sombrer dans une sorte d’amnésie collective. Vingt-cinq ans après, le film s’inscrit dans ce “no mind’s land”. Les choix multiples du dessin animé, fantastique, onirique, hyperréaliste et le genre hybride du documentaire d’animation permettent toutes les incursions dans le souvenir que les individus se refusaient. Une génération hantée et mutique peut se livrer à la traque du passé et s’introduire dans les zones interdites de la conscience. La BD aide à dire l’indicible et à recoller les morceaux d’instants éclatés. Alors, de véritables images de violence, d’exode, de douleurs peuvent prendre le relais pour approcher de la vérité. Ainsi Ari, le metteur en scène, perturbé par ses propres lacunes et intrigué par les cauchemars d’un ami – ces 26 chiens jaunes qui le poursuivent, poil hirsute, dents carnassières, depuis qu’il les a exterminés dans Beyrouth aux abois – va partir à la recherche de témoins oculaires, compagnons d’armes, capables de reprendre avec lui une place dans leur jeunesse et d’enfin regarder leur vérité en face. Un film comme une thérapie. Indispensable et beau.