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J'ai pas tué de Gaulle mais ça a bien failli

Pour les nostalgiques des années 60, les amoureux des DS, des 404 et autre 403, les ambiances de bistros populaires, les rues vides d’embouteillages, les gardiens de la paix à moustache, képi sur le crâne, bâton blanc sur le flan et pèlerine sur l’épaule… les dessins de Bruno Heitz sont un enchantement. Après ses neuf volumes d’Hubert un privé à la cambrousse (Seuil), l’auteur et illustrateur refait un tour dans cette France des années 55-60. Sur fond de Guerre d’Algérie et d’attentats OAS, il raconte l’histoire de Jean Paul, provincial débarqué dans la capitale où les escroqueries à l’assurance éclaircissent l’horizon du jeune homme, facilitent son quotidien et rendent les filles du bordel plus abordables…

Jusqu’au jour où notre héros, insignifiant et peu scrupuleux, tombe sur Fabien, une vieille connaissance devenue un azimuté de l’Algérie française, un gros bras de l’OAS. Celui-ci faisant chanter celui-là, Jean Paul devient le chauffeur de ces messieurs d’extrême droite, lancés, mordicus, dans les règlements de comptes, les assassinats et autres complots. De Gaulle lui-même doit y passer. Ce sera l’attentat du Petit-Clamart, raconté (et dessiné) ici dans le respect de quelques faits et citations historiques. Mais comme "Tout est vrai sans que rien soit exact" disait Simenon, cité ici en exergue, Bruno Heitz prend quelques libertés avec l’Histoire. Jean-Paul, à sa manière, sera bien de ce dernier coup, involontairement, car il a eu l’heureuse idée de fausser compagnie et fissa à ces énergumènes malveillants pour se planquer chez sa vieille tante Ninine. Une fieffée communiste, bonne comme une tarte aux pommes.
Le vent de l’Histoire a bien failli faire deux victimes supplémentaires : le Général soi-même et ce Jean-Paul, monsieur tout le monde, sujet des événements plus qu’acteur de sa propre vie, baignant dans un quotidien de solitude que rendent bien les cadres des illustrations, vides de dialogues mais bourrés des pensées de ce singulier personnage. Le trait est vif et rond, le dessin épuré et efficace.
Bruno Heitz écrit aussi des livres pour enfants et à adapter Le Roman de Renard pour les éditions Gallimard.
 

Mustapha Harzoune

Bruno Heitz (Scénario & dessin), J'ai pas tué de Gaulle mais ça a bien failli, Editions Gallimard/Bayou, 2010, 128 pages couleurs, 17€.