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L’immigration "pour de rire"

L’immigration nouvelle veine comique du cinéma français. Qui l’eût cru ? Trop souvent passée sous silence ou présentée sous ses aspects dramatiques, polémiques ou catastrophiques, l’immigration, investit aussi le terrain de la comédie. Comédiens et réalisateurs, n’en déplaise aux grincheux, s’en donnent "à cœur joie" et même le spectateur socialement frileux en redemande.

Halal, police d’état, un film de Rachid Dhibou

Le titre a si peu à voir avec le contenu de ce film foutraque qu’il a fallu l’affubler d’un bandeau plus explicite : "premier film bled in France". Avec jeu de mot approximatif et clin d’œil appuyé.
Disons tout de go que l’esprit Canal+ - pour ne pas dire "l’humour" - dont Éric (Judor) et Ramzi (Bedia) sont des fleurons qui ne manquent pas de fans, s’accommode mieux de la légèreté éphémère des sketches de télévision que de la durée et de la cohésion d’un film de cinéma.
L’idée de départ n’était pas mauvaise et aurait pu se développer en comédie décapante, quitte à discipliner un peu la verve brouillonne des deux comparses. Jugez plutôt : un sérial killer sévit dans les épiceries arabes de Barbès, sans que les autorités s’en émeuvent beaucoup. La dernière victime étant la femme d’un diplomate, le gouvernement algérien, piqué au vif, dépêche ses plus fins limiers pour épauler les collègues gaulois.
Dans un retournement des rapports avec les forces de l’ancien ordre colonial, les deux gugusses ultramarins Nerth-Nerth (Ramzi) et le Kabyle (Éric) fraîchement débarqués avec leurs travers de flics blédards et tocards, leur recours délectable aux violences physiques, leurs irrépressibles élans voluptueux, leur langage trilingue, tribal et trivial, pouvaient nous offrir de joyeuses collusions à front renversé et des bouquets de gags à rebrousse-poil (les sbires de l’antiterrorisme ne se livrant guère à la rigolade). Point n’était besoin de convoquer les extra-terrestres ! Ou encore de faire référence dans une sorte de dévotion mémorielle, à l’Inspecteur Tahar, nanar oublié des écrans d’après l’indépendance.
Sans doute obnubilés par leur mécanique d’auto-dérision et par l’enthousiasme peu stimulant des inconditionnels, Éric et Ramzi s’en tiennent, leur réalisateur Rachid Dhibou n’étant vraisemblablement qu’un faire-valoir, à un service minimum. Dommage.

Toi, moi, les autres, un film de Audrey Estrougo

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Affiche de Toi, moi, les autres, un film de Audrey Estrougo
Les temps maussades seraient -ils propices à la comédie ? Musicale de surcroît.
Voilà-t-y pas que Gab, un jeune bourge bien découplé mais bambocheur - Benjamin Siksou, un nouveau venu qui s’affirme - fils pistonné du Préfet de police et postulant à un mariage de raison et de calcul, et Leila, une beurette au franc-parler mais brillante étudiante en droit, façon Rachida Dati, et de plus icône du quartier où elle assure le suivi administratif de plusieurs habitants analphabètes en proie aux tracasseries de l’administration (Leila Bakhti, nouvelle star de la troisième génération), tombent éperdument amoureux. Par quel miracle ? Un banal accident de voiture.
Gab, un peu éméché au volant de sa décapotable, fauche le malicieux Momo petit frère de Leïla (Djanis Bouziani). On ne va pas en rester là. Ce n’est pas le choc des civilisations, mais l’amorce convenue "d’un conte social" avec ritournelles dignes de "la chance aux chansons" et chorégraphies métisses, empruntant aux ballets made in Bollywood comme au hip-hop de banlieue. Le tout dans des décors de carton-pâte aux couleurs flashy.
Bien sûr, tout cela n’arrive pas à la cheville de West side story et il ne servirait à rien d’établir des comparaisons avec Jacques Demy ou Alain Resnais, ou même Jacques Martineau et Olivier Ducastelle. Mais voilà une comédie euphorisante où plane néanmoins les ombres de l’actualité. Tina, la copine black de Leila (Marie Sohna Condé) est sous le coup d’un arrêté d’expulsion qui vise aussi sa petite fille scolarisable. Tout le monde se mobilise dans un bel élan civique pour faire triompher les bons sentiments. "C’est pas des dossiers, c‘est des gens", martèlera le fiston qui a viré sa cuti, au papa inflexible représentant de l’ordre qui ne saurait tarder à virer la sienne.
L’immigration enchantée dans un petit film, souvent aux allures de clip civique contre les discriminations, qui se regarde sans déplaisir et qui devrait se révéler plus efficace que des discours véhéments.

[André Videau]
 

Halal police d'État
Un film de Rachid Dhibou
France, 2010
Avec Ramzy Bedia, Eric Judor, Jean-Pierre Lazzerini
Durée : 1h38
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Toi, moi, les autres
Un film de Audrey Estrougo
France, 2009
Avec Leïla Bekhti, Benjamin Siksou, Cécile Cassel
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