La sélection 2022 du Prix littéraire de la Porte Dorée

Retrouvez ici la présentation de la sélection de la 13e édition du Prix littéraire de la Porte Dorée, présentée par les membres du comité de lecture.

Retour à Cuba de Laurent Bénégui, Julliard (2021)

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couverture retour à cuba bénégui

Au début du XXe siècle, un homme, gazé pendant la première guerre mondiale, décide de quitter son Béarn natal et la misère pour tenter sa chance de l’autre côté de l’Atlantique. Il atterrit à Cuba, où il fait fortune dans la culture du café. Le rêve cubain s’interrompt avec la révolution castriste et la nationalisation des terres. Les histoires de famille sont souvent faites de mythes et de secrets. Sur ce grand-père mort à Cuba et la famille restée coincée là-bas pendant la guerre froide, sur le magot disparu et les conflits familiaux emportés dans la tombe, Laurent Bénégui n’avait jamais écrit. Au gré de rencontres et de hasards, il est amené à se replonger dans ses souvenirs d’enfant sur l'île et à revoir des survivantes. Cette quête intime, véritable fresque historique et personnelle, emporte le lecteur à la rencontre de personnages profondément romanesques et de vérités enfouies. Laurent Bénégui nous livre un roman captivant et plein d’émotions, qui fait écho au besoin de chacun de remonter le fil de son histoire et de la transmettre.

Em de Kim Thuy, Liana Levi (2021)

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couverture em kim thuy

Un bébé endormi dans un carton, un petit garçon recroquevillé au sol lui tenant la main. Un autre carton d’où s’éparpillent des fils emmêlés, dispersés. L’œuvre du peintre canadien Louis Boudreault reproduite en couverture répond à la photo de Chick Harrity. C’est cette image prise à Saïgon en 1973 qui est à l’origine du dernier roman de Kim Thuy. De l’Indochine française à la guerre « américaine », de l’exploitation des coolies au massacre de My Lai, de l’opération Babylift aux salons de manucure, l’autrice fait récit du Vietnam. Et œuvre de mémoire. S’attachant aux destins de Mai, puis Tâm, Louis et Em Hong, trois orphelins, enfants du désordre, elle raconte avec délicatesse « la vérité, du moins des histoires vraies ». En courts chapitres, Em tisse ces fils « impermanents et libres » mêlant toutes ces histoires en une, comme autant de pièces assemblées par des coutures.
Tout en précaution et précision – chiffres et informations viennent ici documenter la fiction – le roman ne promet rien sinon « un certain ordre dans les émotions et un désordre inévitable dans les sentiments ». Et c’est là toute sa beauté.

Les enfants de Cadillac de François Noudelmann, Gallimard (2021)

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première de couverture du livre

Échappant aux persécutions visant les Juifs de Lituanie, le grand-père du narrateur s’engage dans l’armée française dans l’espoir d’être naturalisé. Victime du gaz moutarde lors de la 1ère Guerre mondiale, il est interné à Sainte-Anne où son nom résonne aux oreilles du narrateur venu y donner une conférence deux générations plus tard. Comme d’autres « mutilés du cerveau », il mourra de faim dans l’anonymat de l’hôpital psychiatrique de Cadillac, en Gironde, dans la France dite libre. Son fils grandit dans le 18ème arrondissement de Paris sans père ni évocation de ce Poilu interné. Il travaille et milite dès l’adolescence. Fait prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale parce que juif, alors qu’il ne se sent pas plus juif que ses camarades, il gagnera la France à pied depuis la Pologne à la libération des camps, échappant à la mort par miracle à plusieurs reprises. C’est bien plus tard, quand personne ne s’y attend plus, qu’il meurt tragiquement. L’enquête, qui a démarré par un récit à la troisième personne pour évoquer un grand-père effacé de la mémoire familiale, se poursuit à la deuxième personne dans une adresse directe au père trop brutalement disparu. Enfin, le narrateur refuse toute victimisation quand il interroge son rapport à sa filiation et à ses origines. Traversant l’histoire tumultueuse de l’Europe du XXe siècle, comblant les lacunes du récit familial et national, le roman questionne plus largement ce qui constitue l’identité : avec ce qui nous est légué et, au-delà de cet héritage, par les rencontres et les choix que nous faisons plus ou moins librement.

Dans le ventre du Congo de Blaise Ndala, Seuil (2021)

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couverture du livre

Le roman s’ouvre sur les préparatifs de l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958 et met en lumière la destinée tragique de Tshala, princesse du peuple bakuba, qui fait partie des figurants d’un « village congolais » reconstitué dans l’un des sept pavillons consacrés aux colonies. L’auteur articule autour de ce premier fil narratif l’histoire de Nyota, petite-nièce de Tshala, qui dans les années 2000, part en Belgique pour poursuivre ses études et avec pour mission confiée par son grand-père de retrouver la trace de sa tante disparue.
À travers ces deux récits imbriqués et une langue au souffle épique, le romancier sonde les relations complexes coloniales et post coloniales entre la République du Congo et la Belgique. Il dénonce les atrocités du colonialisme et sonde le poids de cet héritage, la transmission consciente et inconsciente de ce passé trouble. L’auteur explore également les désirs et les passions contrariés de ces héroïnes aux ambitions débordantes mais ramenées à une condition féminine sans cesse déconsidérée. La grande réussite de ce roman réside dans la multiplicité des voix exprimées se traduisant par une écriture inventive et réjouissante, la complexité des personnages, son humour salvateur qui tourne en dérision les auteurs d’ignominies et la volonté farouche du romancier de pacifier les mémoires.

L’ami arménien de Andreï Makine, Grasset (2021)

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première de couverture du livre

Avec L’ami arménien, Andreï Makine relate une période de son adolescence en Sibérie où, pensionnaire dans un orphelinat, il se lie d’amitié avec un jeune Arménien dénommé Vardan. De santé fragile et d’une beauté gracile, Vardan est rejeté par les autres adolescents, qui voient en lui un être étrange, un étranger porteur de la « maladie arménienne ».
Vardan vit dans un quartier déshérité appelé le Bout du diable, où s’est installée une petite communauté d’Arméniens venus vivre à proximité de la prison dans laquelle leurs proches sont incarcérés. Pour l’auteur, le Bout du diable devient le « royaume d’Arménie ». Il y est accueilli par des exclus dont il brosse de magnifiques portraits : Chamiram, la mère de Vardan ou Gulizar, qui incarnera pour l’auteur la figure de l’amour absolu.
L’étrangeté de Vardan, sa capacité à voir le monde différemment, lie à jamais Andreï Makine à cet ami qui lui a appris « à être celui qu’il n’était pas ». A travers ce roman, qui nous plonge dans les souvenirs d’enfance de l’auteur, Makine nous invite à nous interroger sur la différence et sur l’identité plus forte que l’origine réelle ou supposée, nous prodiguant ainsi une belle leçon de vie.

Sensible de Nedjma Kacimi, Cambourakis (2021)

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première de couverture du livre

C’est sur l’affaire Théo, l’interpellation violente d’un jeune par la police en février 2017 dans le quartier de la Rose-des-Vents à Aulnay-sous-Bois, que s’ouvre le livre. La cruauté des faits qui nous sont rappelés nous foudroient, le décor est planté, Nedjma Kacimi nous interpelle et nous plonge dans les violences quotidiennes auxquelles sont confrontés les Français racisés.
L’autrice met en parallèle son histoire personnelle, de ses souvenirs d’enfance à ses prises de consciences à l’âge adulte, avec l’histoire collective. Du rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie à L’Étranger de Camus en passant par la Coupe du Monde 98, l’autrice s’empare de références littéraires et de culture populaire pour nous livrer une autopsie méticuleuse des maux de la société française et des débats actuels sur l’identité nationale.
Un texte qui agit comme une « chirurgie réparatrice ». À la fois incisif, il ébranle, corrige, déconstruit et reconstruit tout en faisant évoluer les regards.
Ni un roman, ni un essai, Sensible, le premier livre de Nedjma Kacimi, est un uppercut. Une lecture éclairante et nécessaire qu’il est urgent de mettre entre toutes les mains !

Milwaukee Blues de Louis-Philippe Dalembert, Sabine Wespieser (2021)

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première de couverture du livre

C’est le meurtre de George Floyd en mai 2020 qui a inspiré à Louis-Philippe Dalembert l’écriture de ce roman polyphonique bouleversant. La vie de Emmett Till est ici évoquée avec la pluralité des regards et des situations de ceux qui l’ont bien connu : l’institutrice, l’amie d’enfance, le pote dealer, le coach, la fiancée, l’ex. Chacun dévoile des séquences de la vie de cet adolescent du ghetto de Milwaukee qui rêvait d’être footballeur professionnel et reste malgré tout une énigme. Avant d’être mis à mort par la police, Emmett est revenu dans son quartier de Franklin Heights fracassé par ses années de collège auquel il avait pu accéder grâce à une bourse et qui lui promettait un avenir professionnel radieux. « Comme le migrant obligé de retourner au point de départ, entre deux policiers étrangers, un maigre baluchon à l’épaule avec à l’intérieur les lambeaux de ses rêves » (p 203). Le roman s’ouvre sur le récit du gérant pakistanais de la supérette qui a appelé la police et assiste désemparé à la mise à mort de Emmett étouffé par le genou d’un policier. Il se termine par la Marche de réconciliation, organisée sous la vigilance par Ma Robinson, ancienne matonne devenue pasteur, par la jeune Marie-Hélène, une Haïtienne venue rejoindre ses parents aux États-Unis, très engagée dans la vie sociale et promise à un parcours académique brillant et son copain Dan, étudiant rasta, amateur de jazz et de blues, issus d’une famille juive ukrainienne exilée d’Europe. Des personnages entiers qui montrent combien cette Amérique est fabriquée par l’histoire des migrants d’hier et d’aujourd’hui. Le roman nous offre ainsi un Wilwaukee blues littéraire, rythmé par des improvisations qui explorent cette société américaine meurtrie par les fractures sociales, raciales et culturelles.

Le jury du Prix littéraire 2022

  • Marie Ndiaye, présidente du jury 2022
    Femme de lettres, lauréate du Prix Femina en 2001 pour Rosie Carpe et du Prix Goncourt en 2009 pour Trois Femmes puissantes.
  • Véronique Chatenay-Dolto
    Administratrice générale du Ministère de la culture, ancienne DRAC d’Île-de-France.
  • Blandine Fauré
    Programmatrice littéraire et coordinatrice du festival Effractions -BPI.
  • Cloé Korman
    Autrice (Les Hommes-Couleurs, 2009 – Prix lu Livre Inter, Tu ressembles à une Juive, 2020)
  • Gladys Marivat
    Critique littéraire (Le Monde des livres, le Magazine Lire et le podcast « le book club » crée par Louie media)
  • Alexis Nouss
    Professeur en littérature générale et comparée à l’Université d’Aix-Marseille, titulaire de la chaire Exil et Migration à la FMSH / Collège des Études Mondiales.
  • Sébastien Zaegler
    Délégué général de l’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis et du festival Hors-Limites.
  • Maïssa Oufkir
    élève de première au Lycée Arago (Paris)
  • Eugène Belova
    élève de seconde au Lycée Paul Valéry (Paris)