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Post 4 : Poser sur la table

Après une première visite dans la galerie des dons, les élèves apportent leurs propositions d’objets. Au gré de leur envie de partager la vie de ces objets, ils racontent.

Il y a des objets liés au travail : la bobine de fil et les photos prises en Serbie de la grand-mère de Katarina. Les objets liés à l’économie "une pièce de 100 CFA du Cameroun de mon père". Les objets-dons, tels que des objets intergénérationnels, transmis de mère en fille, "le bracelet de ma grand-mère kabyle", le foulard de la grand-mère d’Astan. L’objet sauvé : "Une tirelire en argile que mon père a emmené dans sa valise lors de son départ précipité du Maroc". Les enseignants mettent aussi sur la table une part de leur histoire personnelle en présentant un porte-monnaie en cuir noir, l’un des trop rares objets élégants de la grand-mère, et une tasse palestinienne rescapée d’un long séjour en Jordanie.
Les premiers souvenirs vécus d’un là-bas, "la derbouka, le premier instrument que j’ai eu", ceux fantasmés "le chapeau de mon grand-père, il était chef de village au Congo. Le village, je l’ai vu en photo".

Il y a ceux qui ont une idée mais qui ne veulent pas encore en parler. Et il y a ceux qui écoutent.
La séance se termine par un enregistrement filmé des histoires de ceux qui le souhaitent.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Dans leurs mots, pas de conscientisation formulée, ni même de "revendication explicite". Pourtant, on perçoit dans l’imprécision des réponses laconiques, parfois prisonnières de la “bonne réponse”, le désir mêlé à l’intimidation de raconter sa famille ainsi que la fragilité d’histoires dont ils ne sont pas encore bien conscients.
Quelque chose passe, presque malgré eux. On peut entendre, dans le creux de la parole, une métaphore de l’oubli, à l’instar de ces objets récalcitrants : le vieux franc qui ne rentre pas, bloqué dans la tirelire. Le bracelet transmis de mère en fille qui ne glisse pas bien sur le poignet.

Ce qui devait être une étape de travail pour mettre les élèves en situation de tournage et approfondir les récits liés aux objets, me convainc de penser le film réalisé au cours de la résidence à partir des adolescents.
Car ce sont bien eux qui posent l’enjeu de l’héritage de l’oubli. Que cet oubli soit le fruit d’un effacement volontaire ou non du roman national, ou d’une "simple" histoire minorisée qui reste à la périphérie de la mémoire, comme on habite la périphérie. Eux dont les corps et les visages incarnent, à leur insu, une autre histoire, issue de la colonisation. Seconde génération, troisième génération, combien de temps reste-t-on un immigré aux yeux des autres ? Comment se construit cette génération, amputée d’une partie de son histoire ? Comment, et où, cette relative ignorance va se loger ? Revenir plus tard par des chemins détournés ?

La tirelire

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"C’est une tirelire qui vient du Maroc que mon père a apporté en immigrant ici à l’âge de 20 ans. Et lorsqu’il a du venir en France très jeune, à l’âge de 19-20 ans, il devait prendre le moins d’objets possible mais des objets qui lui tenait à cœur. Cette tirelire lui tenait à cœur parce qu’il l’avait depuis tout petit de son père, et ça lui rappelait bien son pays. En France, il s’est marié avec ma mère. Et du coup elle s’est retrouvée dans mon salon, c’est là que je l’ai trouvée".
"Et là en fait, y’a une pièce bloquée, c’est un franc, un vieux franc. J’avais réussi à la débloquer tout à l’heure mais elle s’est rebloquée. Ca fait très longtemps qu’elle est bloquée, je sais pas, peut-être qu’elle n’arrive pas à rentrer. Et à l’intérieur il y a plein de francs.
C’est bien pour lui qu’il ait réussi à venir à en France, je suis contente qu’il ait pu reconstruire sa vie, construire une famille, à avoir un travail, à terminer ses études. Pour nous, c’est un peu de fierté, un peu de questions aussi. Je me demandais bien comment il vivait avant au Maroc. Il m’a rien dit hein
".

Une pièce de 100 francs CFA

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"Je voulais amener une pièce de mon pays, une pièce de 100 francs CFA du Cameroun. 100 francs ça correspond à 15 centimes. Avec 100 francs, tu peux t’acheter du pain du lait et du jus. Alors qu’ici tu peux t’acheter... une sucette.
A chaque fois que mon père nous donne un peu d’argent, il m’en parle. Par exemple, quand il m’a acheté des chaussures, il me dit ‘là-bas tu peux te payer une maison…’ oui 50 euros, c’est un loyer.
Cette pièce, c’est une manière de parler de mon père. Il n’a pas oublié comment il vivait en Afrique. En venant ici, il continue à comparer la monnaie de là-bas et d’ici.
C’est bien de ressortir des histoires comme ça. Ca me touche un peu. Il a lutté pour venir en France, il a beaucoup galéré
".

"Je pense qu’il faut pas comparer la monnaie d’ici et la monnaie du pays, parce que après ça nous met dans un état.. "on est dans la galère et tout ça"… Faut aller de l’avant. J’aime pas trop cette vision de la galère".

Un bracelet

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"Ce bracelet appartenait à ma grand-mère. Elle l’avait tout le temps sur son poignet. Elle vivait en Algérie à l’époque. Pas longtemps avant sa mort, elle l’a donné à ma mère. Pour ma mère aussi c’est un objet important parce que c’est l’un des seuls objets qui restent de sa mère, tous ses objets sont restés en Algérie. Elle a juste un foulard et ce bracelet… En tout cas, cet objet elle le gardait tout le temps sur son poignet elle aussi. Ensuite, elle a donné ce bracelet à ma sœur jumelle car moi j’aime pas trop porter les bracelets c’est pas trop mon genre. Ma sœur elle le met souvent".

Elle essaie de glisser le bracelet sur son poignet il reste coincé.
"J’arrive pas à le mettre".

"C’est un objet important parce qu’il s’est transmis de mère en fille. Il vient d’Algérie, pas de France, ça me rappelle un peu mes racines. Comme ma grand-mère est décédée, ça me fait plaisir d’avoir un objet qu’elle a porté elle-même".

 

Laetitia Tura


 

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