Cinéma

Mauvaise graine

1934, France, 71 min, Noir & Blanc
Réalisation : Billy Wilder et Alexander Esway
Scénario : Billy Wilder, H.C. Lustig et Max Kolpé d’après Billy Wilder
Musique : Frantz Waxman
Avec : Danielle Darrieux (Jeannette ), Pierre Mingand (Henri Pasquier), Jean Wall (Le zèbre)

Si Mauvaise graine, œuvre de « transit », est le seul film français de Wilder, c'est aussi son tout premier. Fuyant l'Allemagne nazie au lendemain de l'incendie du Reichstag, Samuel Wilder, journaliste et scénariste d'origine juive fait étape à Paris avant de gagner les États-Unis. Logé à l'hôtel Ansonia, comme nombre de ses compatriotes exilés (parmi lesquels l'acteur Peter Lorre et le compositeur Franz Waxman), Wilder rencontre Alexander Esway avec lequel il réalise « sans aucune expérience » cette histoire d’amour et de voitures.

Le chef, Jean la cravate, Le zèbre, Gaby et l'homme aux cacahuètes forment une bande de gentils « bad boys » , voleurs d'auto. Henri Pasquier, jeune homme veule et désœuvré, se laisse bientôt enrôler par la petite équipe et succombe aux attraits de Jeannette, charmant appât de ces messieurs, interprétée par une toute jeune Danielle Darrieux de 17 ans. Mais trop honnête et trop amoureux, Pasquier décide de quitter « l'entreprise » et, recherché par la police, d'embarquer avec sa belle pour les colonies.

Néoréaliste par nécessité - le film est tourné, faute de moyens, en décors réels - Mauvaise graine nous balade dans le Paris d'avant-guerre, guidés par un Henri Pasquier – sorte de Michel Poicard (1) des années 30 - sillonnant les rues à toute berzingue à bord d’une décapotable volée, avant de nous entraîner « à bout de souffle » sur les routes du sud, direction Marseille.

Malgré l'absence de budget, Wilder n'économise pas son cinéma. Montage rythmé (notamment dans la superbe séquence nocturne), surimpressions et autres jeux de caméra, annoncent déjà le style du tout jeune cinéaste dans cette tragi-comédie jazzy « à l’Américaine » où s’expriment aussi « l’opposition entre les classes et la tension entre les générations »(2).

Et si cette Mauvaise graine n'a ni la sublime noirceur d'un Boulevard du crépuscule, ni le charme joyeux de Certains l'aiment chaud - "Nobody's perfect !" -, Wilder invente avec elle un cinéma à venir « J’ai compris seulement des années plus tard que Mauvaise graine avait été par force un précurseur de la nouvelle vague et du cinéma vérité, bien avant Rossellini, Godard, Resnais et Truffaut » (3).

Stéphanie Alexandre

  1. Michel Poicard est le héros d’A bout de souffle de Jean-Luc Godard, interprété par Jean-Paul Belmondo.
  2. Helmut karasek in Et tout le reste est folie : mémoires , Robert Laffont, 1993
  3. Billy Wilder in Et tout le reste est folie : mémoires , Robert Laffont, 1993