Éditorial

Banlieues en (re)composition

Rédactrice en chef de la revue

L’exposition Banlieues chéries, présentée au Palais de la Porte Dorée du 11 avril au 17 août 2025, explore l’histoire des représentations de ces territoires, de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, à travers une diversité de sources. Questionnant les images dominantes des banlieues dans la société française, elle multiplie les points de vue singuliers en croisant l’histoire, les scènes artistiques et les réalités sociales.

Complexité des migrations urbaines

À l’occasion de cette exposition, la revue revisite l’histoire des banlieues populaires au prisme des flux migratoires qui ont façonné ces espaces. Pour donner une vision plus dynamique, elle invite à percevoir autrement l’histoire de leur peuplement. La diversité des origines régionales et étrangères constitue l’une des caractéristiques de la composition sociale et culturelle des banlieues. L’éclairage scientifique, proposé par un dossier coordonné par Serge Weber et Chayma Drira qui sont remerciés pour leur implication, montre que les trajectoires résidentielles en banlieues, que ce soit dans l’accession au logement social, aux grands ensembles ou à la propriété privée, traduisent les fortes aspirations à une ascension sociale de populations immigrées longtemps assignées à des habitats spécifiques. En questionnant les visions figées des banlieues, la revue explore la complexité des interactions au sein de territoires traversés par les migrations.

Ces processus s’inscrivent dans un contexte d’évolution rapide du paysage urbain : d’abord en chantier au milieu des années 1950, les banlieues accueillent les populations immigrées dans des logements confortables mais qui vont connaître une progressive détérioration. La politique de rénovation urbaine menée depuis plus de quarante ans contribue à remodeler de manière ambivalente les banlieues, tout en renforçant leur stigmatisation. Ces espaces en voie de gentrification au nom de la mixité sociale continuent à exclure les plus précaires – dont une majorité de nouveaux arrivants ou des générations d’origine étrangère – en raison d’opérations de relogement mal conçues. Rester en banlieues est révélateur aujourd’hui des obstacles qui freinent, voire interdisent, toute circulation résidentielle hors des espaces de ségrégation.

Le laboratoire d’un cosmopolitisme populaire

Objet d’un discours médiatico-politique disqualifiant, les banlieues sont peu écoutées dans la société française. La revue explore des formes de visibilité alternatives qui sont produites par les premiers concernés, les habitants des banlieues populaires, à partir de la multiplicité de leurs regards sur leurs territoires. Les récits de soi et des autres sont réinvestis dans le champ de la création par une nouvelle génération d’artistes. Leurs projets participatifs font des banlieues de nouvelles terres de créativité, d’avant-garde et d’invention d’un cosmopolitisme populaire qui s’émancipe des visions stéréotypées. Par la densité de leur tissu associatif, les banlieues demeurent le théâtre de luttes pour un logement digne, une meilleure intégration et davantage de solidarité. Des actions collectives mobilisent contre le racisme, l’insécurité et les violences policières. Une scène politique aux contours mouvants se dessine, tiraillée entre représentations conflictuelles, revendications identitaires, et réaction contre les élites des centres-villes, rythmées par de brutales émeutes urbaines quand cèdent les digues de la médiation.

Transmettre des mémoires du présent

Au sein de sa collection, le Musée national de l’histoire de l’immigration s’est intéressé à la place des populations immigrées dans le logement populaire. Le portfolio du numéro, composé de photographies, de cartes postales et d’œuvres d’artistes contemporains, retrace en image la chronologie de cet habitat à la périphérie des villes qui atteste de présences et de
mémoires singulières.

La revue propose une cartographie des « Rebonds », qui vont enrichir la programmation culturelle autour de l’exposition Banlieues chéries à partir de partenariats dynamiques avec des villes de banlieues comme Clichy-sous-Bois, Corbeil-Essonnes, La Courneuve, Gonesse, Saint-Ouen, Sarcelles, Vandœuvre-lès-Nancy, Vaulx-en-Velin. La collecte et la mise en scène des mémoires des habitants y sont privilégiées par des ateliers créatifs, des expositions et des événements dont la vocation est de fabriquer les archives du présent et d’en assurer la transmission entre générations et entre populations. Cette démarche partagée et inclusive s’appuie sur l’action artistique et culturelle pour participer à la réconciliation de la société française avec ses banlieues.