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"Un coupable tout désigné" : Omar m’a tuer

Au matin du 23 juin 1991, on découvre dans la cave de sa propriété La Chamade à Mougins (Alpes-Maritimes), le corps sans vie et affreusement mutilé de Ghislaine Marchal. La riche veuve, encore vigoureuse pour ses 65 ans, semble avoir succombé à plusieurs coups acharnés, portés à l’aide d’une poutrelle, trouvée sur place.

La porte étant fermée de l’intérieur et le vol n’étant apparemment pas le mobile du crime (ni bijoux, ni argent liquide, ni œuvres d’art n’ont disparu), l’enquête devrait piétiner et laisser perplexe. Au contraire, elle ne va pas par quatre chemins. Les émigrés nord-africains n’ont pas bonne presse sur la Côte d’Azur.
Omar, le jardinier marocain, solide gaillard, un peu fruste qui baragouine le français, passe vite de suspect à coupable présumé. Les charges à son encontre s’accumulent. Il jouait au casino. Il distrayait son célibat (femme et enfant sont restés au bled) en allant voir les p…. Le fait d’avoir bénéficié de la confiance de sa patronne, aggravait son cas. Elle ne se méfiait pas. Elle lui accordait des acomptes. Le jour où elle a refusé, ils se sont disputés, battus avec les moyens du bord. Il l’a fracassée à coups de poutrelle. Les Orientaux sont coutumiers de ces violences impulsives. Elle n’a pu, d’une main agonisante, qu’écrire le nom de son employé bourreau en lettres de sang, avec une énigmatique faute d’orthographe. Omar nie tout en bloc. Il n’a pas de témoins, pas d’alibi. Il est condamné à 18 ans de réclusion criminelle. Un procès aux relents racistes s’achève dans l’outrance. L’affaire Omar Radad commence. Elle mettra, sept ans durant, l’opinion publique en émoi, mobilisera des stars du barreau, des journalistes et des écrivains investigateurs, Jacques Chirac, président de la République française, Hassan II, roi du Maroc.
Reprenant un projet primitivement dévolu à son ami Rachid Bouchareb, Roschdy Zem, le comédien qui avait fourbi brillamment ses armes de réalisateur avec l’estimable Mauvaise foi, s’est tout de suite laissé séduire par la dignité et la ténacité d’un personnage complexe que tantôt tout accuse et tantôt tout excuse. Il n’a pas souhaité faire un film de réhabilitation ni de combat militant contre une justice aberrante et partiale, avec un argumentaire irrécusable, à la manière de Cayatte, Boisset ou Costa-Gavras (et peut-être Bouchareb). Pour éviter les pièges de l’empathie qu’on aurait pu mettre au compte d’une maroquinité partagée, il a introduit le recul et la distance d’un témoignage très extérieur. Il a suivi, à la lettre, le récit plein de documents et de conviction de Jean-Marie Rouart, journaliste au Figaro et Académicien, devenu, par la grâce de son interprète Denis Podalydes, le dandy volubile et combatif, Pierre-Emmanuel Vaugrenard.
Reste un film pudique, personnel et néanmoins passionné où le pouvoir de conviction repose sur la rigueur de la mise en scène et la présence, ascétique, presque jusqu’à l’abnégation de l’interprète principal : Sami Bouajila. Lui, le plus radieux des comédiens de sa génération a accepté de perdre 18 kg, comme rongé de l’intérieur par sa fausse culpabilité, tel un cancer. Méconnaissable pour son propre fils qui l’appellera "monsieur".
Aux dernières nouvelles, le dossier Omar Radad n’est toujours pas clos. De récentes investigations, et la portée du film, devraient définitivement l’innocenter.

André Videau

Date de sortie cinéma : 22 juin 2011
Réalisé par Roschdy Zem
Avec Sami Bouajila, Denis Podalydès, Maurice Bénichou
Long-métrage français
Genre : Drame, Policier
Durée : 01h25min
Année de production : 2010
Distributeur : Mars Distribution