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Vénus noire, un film d'Abdellatif Kechiche

En nous assénant - nullement péjoratif, le mot n’est pas trop fort - par blocs compacts et sans complaisance, les épisodes les plus marquants de la vie de Saartjie Baartman, popularisée et passée à la postérité sous le nom de “Vénus hottentote”, Abdellatif Kechiche n’a pas recherché la facilité ou le scandale.

Il s’est servi de sa notoriété, acquise en seulement trois réalisations, toutes considérablement récompensées (La faute à Voltaire en 2000, L’esquive en 2003, La graine et le mulet en 2007) pour imposer, secondé par son habituelle co-scénariste Ghalya Lacroix, un sujet dérangeant qui avait des chances de déplaire. Il n’y a pas que le surcoût des costumes et des décors qui soit dissuasif quant au tournage des reconstitutions historiques. On ne revisite pas impunément des tranches peu reluisantes du passé. Ce qu’il est convenu d’appeler la mémoire collective est unilatéralement sélective...
Saartjie Baartman, née autour de 1770, trouve ses origines dans le peuple Kholkoi qui subit l’apartheid colonial que font régner les Boers (blancs) sur la majorité noire d’Afrique du Sud. Exploitée, comme les siens dans un contexte esclavagiste, son destin va se trouver aggravé par sa complexion physique : stéatopygie – hypertrophie des fesses - et macronymphie - protubérance des organes génitaux - , "anomalies" propres à alimenter les curiosités des scientifiques et autres anatomistes - dont le fameux Cuvier - et les fantasmes de monsieur et madame Tout-le-monde et à transformer la jeune femme, selon la demande, en phénomène de foire, en objet d’études anthropométriques, en artistes aux chorégraphies lascives, en prostituée de bastringue ou de bordel de luxe. Avec, et c’est là que le curseur des valeurs bienséantes et dominatrices, fait des bonds sauvages et ravageurs, une rébellion indomptable qui protège sa nudité, lui permet de résister aux affronts et aux contraintes, mais engendre une addiction à l’alcoolisme, précipitant la déchéance.
Le traitement d’un personnage aussi surdimensionné et complexe devait s’appuyer autant sur la présence que sur l’interprétation (les partenaires - André Jacobs, Olivier Gourmet, François Marthouret - restant des comparses : Hendrick Caezar, Réaux, Cuvier). La découverte de Yahima Torrès, presque au hasard, fut une aubaine. Cette "insolente beauté" de trente ans, née à La Havane et qui fréquentait les rues de Belleville, s’impose comme une évidence. Son corps comme pétri par le sordide ou l’adulation, la répugnance, les attouchements, la pitié, la rend apte à se transformer, pour l’éternité, en icône.
Rappelons qu’après de longues tractations la dépouille de "Sarah" Baartman a été restituée par la France à l’Afrique du Sud. Ses restes sont aujourd’hui inhumés dans sa province du Cap.
[André Videau]

Vénus noire
Un film d'Abdellatif Khechiche
Avec : Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet
France, 2009
Durée : 2h45

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