Au musée

Donner à entendre et à voir tout un continent

Entretien avec N'Goné Fall, commissaire générale de la Saison Africa2020

Dans cet entretien, N’Goné Fall contextualise la Saison Africa2020, restitue les thématiques migratoires et celles de l’engagement artistique dans le programme de cette Saison qui a débuté en décembre 2020.

directeur du Musée national de l'histoire de l'immigration
rédactrice en cheffe de la revue

H&M : La Saison Africa2020 hors norme concernant 54 pays d’Afrique et a pour vocation d’explorer toutes les disciplines pour montrer la vitalité, le dynamisme et la créativité de ce continent. Quelle place est accordée aux diasporas africaines dans cette Saison ? Sont-elles perçues comme des « microsociétés » africaines installées en France et en Europe ? Sont-elles envisagées comme des passerelles entre les deux continents, comme des « ambassadeurs au quotidien » de l’Afrique et comme des acteurs du développement de leurs pays d’origine ?

N’GonéFall : Cette Saison s’adresse à tous les publics en France, quelles que soient leurs origines ou leur nationalité. Elle a l’ambition de se déployer sur l’ensemble du territoire français, y compris les territoires ultramarins. Son cœur de cible, c’est la jeunesse. Le partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports a permis de monter plus de 300 projets avec des classes en France et en Afrique pour répondre au défi « Parions sur les prochaines générations ! ». Cette Saison est portée par un continent qui compte plus d’un milliard deux cents millions de personnes et dont la société civile va s’exprimer depuis la France. Mais elle s’adresse aussi aux Africains dans le cadre d’une saison panafricaine sur le continent qui implique des équipes investies sur des projets internationaux dans chaque pays. À partir de discussions préalablesavec des acteurs de la société civile, cette Saison souhaite montrer comment les Africains abordent les questionnements du XXIe siècle qu’ils adressent au monde entier.

Il faut définir plus précisément le terme de diaspora qui varie d’un interlocuteur à l’autre, ici en France. Les diasporas concernent des populations nées en Afrique et qui s’installent plus ou moins durablement dans un autre pays, mais elles n’impliquent pas des personnes qui sont d’origine étrangère par leurs parents ou grands-parents, et qui sont des citoyens du pays où ils résident et où parfois où ils sont nés. Cette saison ne parle pas de l’Afrique mais de tous les sujets qui concernent l’ensemble des populations dans le monde – la diffusion des connaissances, la redistribution des ressources, l’émancipation économique, les innovations technologiques, la citoyenneté, la question de l’histoire, de la mémoire, du territoire, du terroir, etc. Elle embrasse la vision des Africains sur toutes ces questions. Selon les régions en France, certains opérateurs ont sollicité des associations créées par des populations africaines (par exemple par des femmes maliennes, par des étudiants d’Afrique du Nord) pour participer à des programmes de médiation ou sur un volet de leur programmation, dans une volonté d’inclusivité à cette Saison.

H&M : Vous avez insisté pour que cette Saison soit portée par des acteurs africains car les sociétés africainessont productrices de savoirs, de recherche et de diffusion des connaissances. Est-ce que le sujet des migrations est un sujet de recherche sur le continent africain ?

N. F. : Les hommes se déplacent depuis l’aube de l’humanité. Jusqu’à preuve du contraire, toutes les populations sont issues de l’Afrique, considérée comme le berceau de cette humanité. Par ailleurs, il faut rappeler qu’il y a plus de déplacements internes sur le continent africain que de migrations vers les autres régions du monde. Comme je le dis dans le petit texte sur « fictions et mouvements non autorisés », avec la question de la circulation des hommes, des idées et des biens sur les territoires, ces questions de migrations en Afrique, de camps de réfugiés en Afrique de l’Est sont étudiées par des sociologues et donnent lieu à beaucoup plus de travaux de recherche que ceux portant sur les migrations vers l’extérieur. Les historiens s’intéressent aussi à ces questions en montrant l’ancienneté des circulations et leurs impacts sur des sociétés qui ont été en contact les unes avec les autres grâce à ces migrations. Par exemple, si on s’intéresse à l’histoire du Sahel, de la côte atlantique jusqu’à la Méditerranée, l’histoire des routes des caravanes au Moyen Âge montre que le désert était une véritable autoroute et non un noman’s land terrifiant et formant une frontière entre le Nord et le Sud du Sahara. Certains empires, comme celui des Almohades, allaient du Sénégal à l’Andalousie et avaient des populations communes à l’Espagne et au continent africain. Ces caravanes transportaient du savoir, de la science et du spirituel, mais aussi du culturel et de l’économique.

Cette saison doit permettre aux sociétés de prendre conscience de cette histoire globale et d’arrêter de distinguer le Maghreb du continent africain. La balkanisation de l’Afrique est orchestrée aussi par les organisations internationales quand elles associent les pays arabes à un seul bloc en y rattachant l’Afrique du Nord. Ces distinctions sont totalement absurdes quand on regarde l’histoire des réseaux culturels et spirituels, économiques et politiques qui se développent du Moyen Âgejusqu’à l’époque moderne, et plus récemment les réseaux de lutte pour les indépendances, pour l’abolition de l’apartheid. Cette Saison doit contribuer à ce que la jeunesse africaine connaisse mieux l’histoire de son continent et prenne davantage conscience de son sentiment d’appartenance. Donc promouvoir une vision plus globale de l’histoire de l’Afrique en puisant dans les profondeurs historiques les clés de compréhension des réalités contemporaines, au-delà des seules périodes de colonisation et de décolonisation.

H&M : En France, la littérature de l’exil est assez développée, j’en veux pour preuve la richesse et la diversité des romans que le Prix littéraire de la Porte Dorée permet d’identifier et de promouvoir chaque année. Est-ce qu’en Afrique, l’histoire et les mémoires des migrations vers l’Europe font l’objet de débats, d’archivage, de transmission et d’enseignement, à l’école par exemple ?

N. F. : Ce sont surtout les médias qui abordent les questions de migrations vers l’Europe pour parler de l’actualité. À chaque fois qu’un bateau transportant des migrants fait naufrage, par exemple en ce moment dans l’Atlantique vers les îles Canaries. Si je reprends mon expérience personnelle, dès l’école primaire, j’ai appris l’histoire des frontières et des territoires, des grandes conquêtes des empires africains et celles liées à l’islam, tout comme l’histoire de l’esclavage et de la traite atlantique ou de la colonisation des populations européennes vers le continent africain. On y aborde donc l’histoire longue des déplacements de populations en Afrique. Tous ces sujets sont aussi enseignés dans les différents départements universitaires. Le phénomène des migrants est plus récent et démarre dans les années 1980-1990 pour s’amplifier au tournant du millénaire. Il s’explique par des conditions de vie et des situations économiques dramatiques sur le continent. N’étant pas une sociologue, ni une historienne spécialiste de ces migrations, je fais très attention pour vous répondre sur ces thématiques, mais je ne pense pas que l’école, à travers les manuels scolaires par exemple, aborde ces nouvelles réalités migratoires vers l’Occident.

H&M : Concernant la production d’expositions dans le cadre de cette Saison Africa2020, une des conditions préalables que vous avez posées était de prévoir que des commissaires africains soient impliqués dans les projets, y compris dès la phase initiale de la conception. C’était un des principes forts de cette saison. Aujourd’hui, deux ans après l’énonciation de ce principe, quelle conclusion pouvez-vous tirer de sa mise en œuvre ?

N. F. : Ce principe m’a obligé à faire beaucoup de pédagogie auprès de certains opérateurs français qui avaient du mal à comprendre pourquoi il fallait travailler avec des professionnels africains et pourquoi le regard de Français sur l’Afrique était hors sujet. Pour une Saison où il s’agit de donner à voir et à entendre tout un continent, à partir du moment où le président de la République nous a dit « je veux une saison par les Africains, pour les Africains et sur les Africains », il a fallu l’expliquer en France et ce n’était pas forcément gagné dès le départ. Mais je pense que cette Saison visait aussi à mettre l’humain au centre de la programmation en favorisant les rencontres. Dès le démarrage, j’ai mis mes réseaux et les réseaux de mes réseaux à la disposition des opérateurs français et je les ai invités à embarquer vers les territoires lusophones ou anglophones que par tradition les opérateurs français connaissent peu, pour des raisons logiques de confort lié à la langue française. Pour le président de la République, l’agenda de cette Saison était de changer les regards, les mentalités et les comportements des populations françaises à l’égard de l’Afrique. Quand on collabore ensemble sur un projet en partageant des intérêts communs et en partant de l’engagement citoyen pour le réaliser, étape par étape, avec des discussions et des échanges où chacun est inspiré par l’autre, alors on se donne les moyens de changer les regards sur l’autre à travers les expériences vécues ensemble. Et parce que les opérateurs de part et d’autre de la Méditerranée construisent des projets ensemble. Donc, pas de Saison avec des projets établis par des Africains et parachutés en France, ni avec des projets faits par des Français sur l’Afrique. Il a donc fallu réfléchir ensemble, rêver ensemble d’un monde différent et travailler ensemble avec une autre façon d’aborder les projets. À travers des stratégies de médiation, les opérateurs français vont mettre en place des outils pour partager ces ambitions, ces envies avec les publics qu’ils mobilisent habituellement en France.

H&M : La dimension artistique a souvent été privilégiée pour parler de l’Afrique. Les expositions dont on parle le plus depuis les trente dernières années sont Les Magiciens de la terre à la Halle de la Villette et Africa Remix au Centre Pompidou, ou encore Art Afrique à la Fondation Louis Vuitton, que vous connaissez beaucoup mieux que nous. Qu’est-ce que la Saison Africa2020 apporte de nouveau ?

N. F. : Cette Saison ambitionne de produire du sens, et si on reprend les trois expositions citées, c’étaient certes des expositions africaines mais quels étaient leurs messages, leurs sujets et les questions de société qu’elles avaient soulevées ? Elles présentaient au public français les créations de l’art africain contemporain, sans lancer de discussionsautour d’idées et de pensées. Si je me fais un peu l’avocat du diable, au-delà des créations qui étaient présentes dans ces expositions, quel était le concept qui était mis en avant, de quoi était-il question au juste ? Qu’avaient à dire les artistes qui étaient embarqués dans ces expositions ? Quelle était l’histoire qu’ils voulaient partager avec un public français ? Un projet qui ne fait que donner à voir risque de rester très plat.

C’est pour cela que dès le début, quand j’ai accepté d’assurer le commissariat de cette Saison, je me suis dit : de quoi va-t-on parler et pour dire quoi ? J’ai donc invité quatre autres cerveaux pour savoir, à l’échelle de ce continent, quelles sont les questions qui nous rassemblent, à quoi on aspire, à quoi on rêve. Avec le Musée national de l’histoire de l’immigration, compte tenu de sa mission et du bâtiment historique dans lequel il se déploie, il m’a semblé extrêmement intéressant de voir avec vousle type de message que vous alliez proposer pour participer à cette Saison. Je suis ravie de la collaboration du Musée avec le Macaal et avec sa directrice artistique Meriem Berrada. J’ai vu la liste des artistes que propose votre exposition « Ce qui s’oublie et ce qui reste » et j’ai hâte de voir la programmation qui va se dérouler au printemps 2021. C’est ce que j’appelle un projet pertinent pour discuter de thèmes qui nous concernent à l’échelle de la planète, non pas avec des lorgnettes locales – mêmes africaines – mais à 360 degrés. On est sorti de la période où des projets diplomatiques faisaient uniquement la promotion d’une région du monde. En allant au-delà des artistes, en impliquant aussi les acteurs du changement, de l’innovation dans tous les secteurs de l’activité humaine et qui ont cette capacité de remettre en question les idées reçues, j’ai conscience d’avoir lancé beaucoup de défis pour être sûre de surprendre les publics français et africains.

H&M : Beaucoup d’artistes africains ont développé leur carrière à l’international, pour des raisons de formation, de moyens et d’accès aux galeries pouvant les promouvoir ou de musées pouvant acquérir leurs œuvres, que pensez-vous de cette évolutiondu monde de l’art ? Comment voyez-vous cette ouverture un peu forcée vers l’extérieur ?

N. F. : À l’échelle du continent, la majorité des artistes africains demeurent en Afrique. La plupart des artistes qui sont basés en Occident font partie de la génération précédente, partie dans les années 1990 pour poursuivre ses études et qui s’y est finalement installé. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui : tous les artistes émergents qui créent des œuvres extraordinaires au Ghana, au Nigeria, en Égypte, en Ouganda, en Afrique du Sud – et je ne cite pas tous les pays – n’envisagent pas une seconde d’aller se baser à l’étranger. D’abord parce qu’en termes d’atelier pour travailler, cela leur coûte beaucoup moins cher de rester dans leur pays, parce que cela leur permet d’avoir accès à certains matériaux (le métal, le bois) et de travailler avec des artisans très talentueux. Kader Attia a un atelier de production à Dakar alors qu’il est basé à Berlin. Les artistes les plus en vue et qui ont une notoriété internationale résident tous en Afrique. C’est donc un mythe à déconstruire que de penser que ces artistes partent faire carrière à l’étranger parce qu’il y a très peu de galeriessur le continent africain. C’était le cas dans les années 1990, quand il y avait encore peu de collectionneurs, essentiellement actifs en Égypte et au Nigeria, et un peu au Maroc car ces pays avaient une tradition de collectionneurs privés qui achetaient surtout de l’art moderne ou du patrimoine. Mais c’est en train de changer ! Les foires 1/54 à Londres ou AKAA à Paris suscitent un engouement car l’Occident s’intéresse enfin un peu à l’art contemporain venu d’Afrique. Mais le premier marché de l’art pour les artistes africains reste le marché local, y compris avec de jeunes entrepreneurs qui trouvent que l’art c’est chic et par le vecteur des nombreuses foires qui se sont montées ces dernières années – deux en Afrique du Sud, une à Lagos, une à Marrakech et ailleurs sur le continent. Croire que les artistes africains ont besoin de l’Occident pour avancer dans leur carrière, c’est rester dans un eurocentrisme décevant.

En Afrique, il faut bien comprendre qu’il n’y a plus d’État providence, ni de subventions publiques mises en place par l’État, la région, le département ou les villes comme en France. Les institutions culturelles n’ont pas le confort budgétaire et la sécurité de l’emploi des institutions françaises. De ce fait, les projets sont financés par du mécénat privé. Mais les stratégies de survie des artistes sont démultipliées et créent du dynamisme en renvoyant à des sujets qui concernent leur contexte local avec, selon les cas, une résonance « extra-locale ». Les artistes de la génération d’avant, je pense par exemple à Pascale Martine Tayou ou Barthélemy Toguo, même s’ils sont venus en France ou en Belgique dans les années 1990 et y sont restés, ont gardé un lien avec leur pays d’origine en pratiquant des allers-retours avec le Cameroun. Les sujets qu’ils abordent ont changé car leur contexte a évolué : la migration, la mondialisation, les questions de minorités ne sont pas des thèmes que traitent les artistes plus jeunes car ils font partie de la majorité et qu’ils sont restés en Afrique. Une artiste kenyane comme Wangechi Mutu, partie aux États-Unis et qui est aujourd’hui devenue une star mondiale, les sujets qu’elle aborde aujourd’hui sont différents de ceux qu’elle traitait à Nairobi et même si elle vit aussidans un aller-retour permanent, elle se pose la question d’ouvrir ou non un atelier au Kenya. Le contexte des artistes a une influence sur leur manière d’appréhender le monde. Parce que je suis basée depuis 30 mois à Paris, ma connaissance de la société française, dont je croyais pourtant être familière, a changé au rythme des discussions avec des Français, par conséquent mon regard sur la France, sur l’Europe et sur le monde occidental. Et tant mieux car cela veut dire que nous ne sommes pas hermétiques à un nouveau milieu.

H&M : Dans le film Système K, on voit que les artistes congolais proposent une autre forme d’engagement dans la société civile et une présence de l’art dans l’espace urbain très iconoclaste. Qu’en pensez-vous ?

N. F. : Je voudrais dire que la RDC est un pays particulier et Kinshasa est une des plus grandes mégalopoles en Afrique, mais qui est déglinguée et sans système politique et social organisé. Sa population a une très forte capacité de créativité depuis les années 1970. N’est pas Kinois qui veut, avec cette extravagance, cette autodérision, cette force de transcender les difficultés du quotidien. C’est aussi une situation liée à l’histoire d’un pays qui a été la propriété privée d’un roi, qui a changé de nom quatre ou cinq fois, qui correspond à un territoire énorme et difficile à gérer. On le voit très bien à travers des films comme La vie est belle : l’extravagance de Kinshasa est née de l’expérience de Mobutu quand il met en place, à marche forcée, sa politique de l’Authenticité en demandant à tous les citoyens de se rebaptiser en « congolisant » leurs prénoms et quand il met un embargo sur tous les produits importés, y compris dans le secteur de la mode ou de la photographie. Cela a engendré des mouvements de protestation comme par exemple les Sapeurs. La résistance s’est organisée sur le plan sociétal parce que l’on touchait à l’identité individuelle de la population congolaise. À l’époque, à Dakar, on trouvait cette politique de l’Authenticité un peu terrible. Ils expriment d’une certaine façon un panache qui me plaît beaucoup.

H&M : Beaucoup parmi les 25 premières personnalités retenues de l’index « Power 100 » d’Art Review travaillent à la reconnaissance de la diversité, en particulier noire, et des cultures extra-occidentales. Pensez-vous que ce soit un effet de mode, un changement radical ou une évolutionlente mais profondevers un rééquilibrage ?

N. F. : L’avenir nous le dira ! Toutes les sociétés se sont diversifiées, ces dernières décennies, et se posent des questions sur leurs identités. Je ne sais pas si c’est un phénomène de mode mais il est temps que les gens se parlent et, dans certains pays, il y a des discussions sur ces questions comme en Grande-Bretagne dès les années 1980 à l’initiative de personnalités d’Asie du Sud-Est (Inde, Pakistan), des Caraïbes, du Nigeria et du Ghana – le British Black Arts Movement – en Allemagne et même aux États-Unis. Pour la France, il serait temps que les discussions aient vraiment lieu, car on parle de diversité et on pourfend le communautarisme en même temps, au risque que la société devienne totalement schizophrène. La mort de George Floyd a créé une dynamique à l’échelle de la planète, qui touche aussi le monde de l’art occidental, très eurocentré jusqu’à une quinzaine d’années, mais qui se sent obligé aujourd’hui de montrer l’exemple, en se voulant progressiste. En tant que Musée national de l’histoire de l’immigration, et compte tenu de votre localisation dans ce Palais de la Porte Dorée, vous avez un rôle à jouer en tant que plateforme de discussions et d’échanges pour sortir des clichés et des cloisonnements qui perdurent en France.

H&M : Les artistes de la diaspora africaine abordent le thème de l’identité compte tenu de leur mobilité qui les amène à se poser des questions sur ce qu’ils sont. Est-ce que cette question de l’identité traverse également les artistes du continent africain ?

N. F. : La question de l’identité est récurrente en Afrique du Sud en raison de son histoire, avec ces relations entre minorité économique et majorité « chromatique » et le fait que la population dans son ensemble a été coupée du continent pendant des décennies. Dans les autres pays africains, cette question d’identité n’est pas prioritaire, en dehors des communautés LGBT et dans certains pays à propos de la place des femmes dans la société, comme par exempleen Afrique de l’Est. En Afrique, on sait qui on est !

H&M : Pourquoi l’histoire de l’immigration africaine subsaharienne est-elle si peu connue en France selon vous ?

N. F. : D’un point de vue démographique, l’histoire de l’immigration maghrébine a certainement été plus importante et visible en France. Et donc davantage traitée par les institutions muséales. Mais il y a aussi une ignorance surles présences maliennes et sénégalaises, voire camerounaises ou ivoiriennes, dans l’histoire de l’immigration. Quand on sait qu’au Mali, Montreuil est dénommée « Bamako-sur-Seine », il faut encore développer cette histoire dans l’opinion française. Quand j’ai constaté que Senghor, Houphouët-Boigny ou Aimé Césaire ne sont pas vraiment connus en France, y compris parmi les étudiants avec lesquels j’ai fait mes études de graphisme en 1986, cela m’a extrêmement déstabilisée car, pour ma génération, c’était des icônes et j’avais lu tous leurs ouvrages. Ce n’est pas seulement une histoire d’ouvriers venus d’Afrique pour travailler en France. Cette immigration africaine constitue un puits sans fond pour votre institution et vous pouvez rattraper le retard par une plus vaste et ambitieuse programmation de colloques, spectacles et autres, même sans exposition. Il faudrait aussi s’intéresser aux migrations européennes, et surtout françaises, de jeunes et moins jeunes ou de retraités qui viennent s’installer en Afrique aujourd’hui pour vivre une vie meilleure ou tout simplement trouver du travail. Le phénomène a commencé à s’amplifier après la crise des subprimes en 2008, en Espagne et au Portugal notamment.