Belleville

Belleville, Paris, le 2 juin 1968. La France est plongée dans une grève massive et deux hommes jouent aux cartes à la terrasse d’un café. Tous deux sont immigrés tunisiens : un Juif et un Musulman. Il semble qu’à un moment l’un accuse l’autre de tricherie. Une bagarre éclate, d’autres personnes s’en mêlent et cela vire à l’émeute. Des boutiques sont cassées, incendiées, même la synagogue Julien Lacroix est touchée. Rapidement, des camions de police sont envoyés sur les lieux et procèdent à des dizaines d’arrestations.

La plupart des gens impliqués sont jeunes, juifs tunisiens d’un côté, musulmans algériens, tunisiens et marocains de l’autre. Ils se battent avec bouteilles, pierres, barres de fer et couvercles de poubelles. Des échauffourées se reproduisent le 3 juin, jour de la venue du préfet de Paris, Maurice Grimaud, et du commandant du Service d’assistance technique, la police des immigrés. D’autres rixes éclatent encore le 4 juin. Une affaire que beaucoup d’acteurs politiques vont investir. Côté français, dans Le Figaro, une vision coloniale se dessine : les Juifs et les Arabes sont d’éternels ennemis, à Belleville ou ailleurs, et l’État français s’interpose pour régler leurs conflits. Pour les autorités algériennes, il s’agit d’une provocation sioniste pour célébrer le premier anniversaire de la guerre des Six Jours (qui a pourtant débuté le 5 et non le 2 juin 1967). Pour des porte-parole juifs de Belleville, c’est le Fatah palestinien qui a ourdi l’émeute pour venger la guerre des Six Jours. Enfin, pour les militants d’extrême gauche, les Gaullistes ont armé des Harkis et dispersé des hommes de main pour ternir les relations entre prolétaires et immigrés (cf. Daniel Gordon, « Juifs et musulmans à Belleville (Paris 20e) entre tolérance et conflit », Cahiers de la Méditerranée, n° 67, déc. 2003).

Cette tendance politique se montre ici mais ne cherche pas tant à expliquer les ressorts de l’émeute (ici minimisée) qu’à en questionner l’usage. Ici, il ne s’agit pas de dénoncer une situation bien établie pour la renverser, mais plutôt de l’analyse d’un événement, écrite à chaud, chargée de slogans typiques de mai 1968 : une répression policière raciste (anti-impérialisme, antifascisme) des médias sous influence (système gaullien) pour détourner de la grève (anticapitaliste). L’affiche est signée "École nationale des Beaux-Arts" et non "Atelier populaire de l’Ex-École des Beaux- Arts". Si c’est un groupe sérigraphique différent, il s’inscrit néanmoins dans les mêmes pratiques et tendances. Cette structure préfigure des affiches et des journaux muraux de l’extrême gauche engagée dans les nouvelles luttes des Années 1968, notamment les maos qui investissent les luttes de l’immigration.

Romain Duplan, chercheur indépendant en histoire et co-fondateur de La Boîte à histoire

En savoir plus :

Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)

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