Chronique cinéma

Amin

Film de Philippe Faucon (France, 2016)

[Texte intégral]

Journaliste

Décidément, à travers son dernier opus Amin, Philippe Faucon n’a pas son pareil pour sonder les cœurs et les âmes des populations immigrées, «ces êtres étranges venus d’une autre planète» pour paraphraser la célèbre série Les envahisseurs...
Depuis Samia (2000) où il racontait le quotidien d’une famille maghrébine de Marseille, mais surtout La désintégration (2012) sur l’endoctrinement islamiste de jeunes des cités, et Fatima (2015), bouleversant portrait d’une maman (trois fois césarisé), Philippe Faucon et sa compagne co-scénariste, Yasmina Nini Faucon, n’ont cessé d’explorer et d’approfondir la problématique de l’immigration.

L’originalité d’Amin – rarement vu jusque-là – est d’entremêler les deux univers, les deux géographies, ceux du pays d’accueil et du pays d’origine, en l’occurrence le Sénégal d’où vient son héros, Amin. Ce dernier habite un foyer et se rend régulièrement sur le continent africain où il retrouve son épouse et ses enfants. C’est ainsi que le récit se déroule en aller-retour, accordant une place et un rôle important à la femme d’Amin qui supporte douloureusement la séparation, d’autant qu’elle vit chez sa belle- famille où la tradition régit son mode de vie. Ces séquences au bled nous révèlent un Amin épanoui, à l’opposé de celui qui, entre le chantier et le foyer, mène une existence monacale faite de repli sur soi et de silence pour seuls compagnons. Ce quotidien répétitif va un jour emprunter un chemin de traverse... À l’occasion de travaux chez une femme vivant seule (remarquable Emmanuelle Devos, toute en sobriété), une relation amoureuse va lier ces deux solitudes, venant combler quelque peu la misère sexuelle et affective d’un Amin qui peut alors exprimer tout son potentiel d’immense tendresse.

La description du quotidien entre petits boulots dans le bâtiment et la fréquentation du foyer permet d’élargir le propos à une approche plus chorale (voir le personnage du camarade marocain). Avec sa mise en scène toujours opérante et ses scénarii toujours aboutis – ici avec l’aide de Yasmina Nini Faucon et Mustapha Kharmoudi –, Philippe Faucon confirme avec Amin la singularité qui est la sienne dans le paysage cinématographique français. Il appartient de fait à une catégorie de créateurs dont le regard est synonyme de justesse de ton dès lors qu’il traite de sujets à caractère social, et dont les clichés et autres stéréotypes sont bannis du propos. Les dialogues sont tout à l’économie, au profit des visages, des attitudes, des gestes, privilégiant les mouvements des corps. Ceci ajoute à la densité des personnages, qu’il s’agisse d’Amin (très bon Mustapha M’Bengue repéré en Italie), de Gabrielle (Emmanuelle Devos, et pour une fois Philippe Faucon a choisi une actrice confirmée) et de Marème N’Diaye (l’épouse, véritable révélation).

Certes, Fatima (César du meilleur film) a consacré le talent singulier de Philippe Faucon mais Amin, lui, s’inscrit d’ores et déjà dans le panthéon des films traitant d’un sujet trop souvent caricaturé : l’immigration...