Young-ha Kim est un jeune auteur coréen de quarante ans dont les livres ont tous été couronnés par la critique de son pays. Fleur noire n’a pas échappé à ces louanges puisqu’il a reçu le prix Dong-in, “le plus prestigieux des prix littéraires coréens”, d’après son éditeur. On peut le comprendre. Young-ha Kim raconte en près de 400 pages l’épopée de 1 033 Coréens au Mexique puis au Guatemala. Le récit, épique, documenté, riche en rebondissements, est écrit du point de vue coréen. Il y a quelques années, Raphaël Confiant racontait un autre périple : celui d’Indiens expatriés en Martinique(1). Confiant écrivait dans une veine plus culturelle, privilégiant les questions d’adaptation, les conditions d’accueil, les liens culturels et leurs dissolutions, les métissages, en un mot les processus de “créolisation”. Young-ha Kim se limite à raconter le parcours de quelques-uns de ces émigrés coréens délaissant, au fond, ces interrogations culturelles et les divers processus d’acculturation ou de “transculturation”. Cela donne un texte beaucoup moins dense et riche comparé au livre de Confiant et parfois même un peu poussif. Peut-être aussi – à la décharge de l’auteur – parce que ces 1 033 Coréens oubliés de l’histoire et ressuscités, le temps d’un roman, par Young-ha Kim, ont fini par se fondre dans la vaste plaine du Yucatán et de sa capitale, Mérida. Young-ha Kim mêle le récit descriptif et quasi documentaire du périple de ces Coréens embarqués le 4 avril 1905 pour un contrat de quatre ans au Mexique à celui des trajectoires individuelles. Ainsi raconte-t-il les amours de la belle Yi-Yeon-su avec le jeune Kim I-jeong, puis sa quasi-captivité avec Kwon l’interprète et, enfin, la paix et la sécurité retrouvées grâce à Pak Jeong-hun, un ancien et noble soldat devenu coiffeur du général Álvaro Obregón. Face aux troupes du futur président mexicain, dans les rangs des révolutionnaires de Pancho Villa, se trouve un autre Coréen :Kim I-jeong. Ballottés entre la colonisation japonaise de la Corée et les révolutions mexicaine puis guatémaltèque, 1 033 Coréens donc débarquent le 15 mai 1905 au Mexique. Comme tous les migrants, ce qui les attend ne correspondra pas à leur espoir. Ici encore moins qu’ailleurs ! Ils seront réduits à une situation de quasi-esclavage, livrés, “achetés” par des propriétaires d’haciendas. Après avoir soumis et liquidé nombre de Mayas, ces producteurs d’hennequen (sisal ou agave) du Yucatán en manque de main-d’œuvre avaient payé le prix fort pour faire venir ces immigrés. Les Coréens, “qui ne parlaient pas un mot d’espagnol, ne risquaient en effet pas de s’enfuir”. Bien sûr, ils seront victimes d’une méchante duperie : “Les conditions de travail s’avéraient beaucoup plus cruelles que celles des plantations de canne à sucre à Hawaï ou d’orangers en Californie.” “Le Yucatán était un enfer pour les hommes et pire encore pour les femmes.” Tout cela, Young-ha Kim le décrit minutieusement. Il raconte aussi les grèves et les révoltes des Coréens. L’histoire de deux propriétaires, celui d’origine française, Menem et l’autre, Ignacio Velasquez, brutal fanatique descendant de conquistador, fait remonter le récit à Napoléon III et même au XVIe siècle. Comme pour tous les migrants, le principe de la réalité migratoire s’imposera : quand les contrats arriveront à échéance, “aucun Coréen ne retourna dans son pays. [...] Les uns après les autres, les Coréens s’installèrent définitivement au Yucatán.” Quarante-quatre autres partirent un temps au Guatemala pour participer à la révolution de 1916. Ils rêvèrent de fonder un nouveau pays, le Sindaehan ou “Nouvelle Corée” du côté de Tikal. Les survivants rentrèrent “chez eux”... au Yucatán.