Chronique cinéma

Française

Film français de Souad El-Bouhati (2007)

Avec ce titre qui claque comme une proclamation et cette affiche qui campe le buste d’Hafsia Herzi – devenue emblématique en beurette citoyenne, sur fond tricolore, depuis son marathon de danse du ventre et ses emportements irrésistibles dans La Graine et le Mulet, d’Abdellatif Kechiche (voir H&M ° 1270) –, on pourrait s’attendre à un film vantant les voies de l’intégration ou, au contraire les tournant en dérision. Dans les deux cas, on se trompe – et ce faux engagement prend le risque de déplaire. Sofia, 12 ans, née en France de parents marocains, est Française selon la loi. Cette dualité n’a guère troublé son enfance heureuse dans une cité provinciale. Une vie plutôt insouciante entre père et mère, sœur aînée et frère cadet, une scolarité réussie, des camarades, des sorties... tout juste, parfois, un tempérament un peu ombrageux. Rien ne laissait prévoir un aussi brusque changement de cap, lorsque ses parents – Maher Kamoun en père méditatif mais résolu et Farida Khelfa en mère inflexible – annoncent un retour définitif au Maroc. Le ciel du quotidien s’écroule sur Sofia qui se jure de revenir à sa majorité. Il faut dire que, pour le spectateur aussi, les motivations des parents restent peu explicites. On peut toujours supposer un échec de leur projet migratoire, la crise économique, la montée du racisme, l’avenir incertain... Quelques années plus tard, on retrouve la famille installée dans un grand domaine agricole du Sud marocain. Le père prend au sérieux son rôle de chef d’entreprise, heureux d’avoir retrouvé ses affinités terriennes mais sans pour autant se départir d’une indicible mélancolie. La mère s’épanouit dans ses fonctions naturelles de maîtresse de maison. Fouzia, la sœur aînée – interprétée par Sihame Sani –, prépare avec enthousiasme son mariage traditionnel. Rachid, le frère – joué par Aymen Saïdi, révélation de Saint-Jacques-La Mecque (voir H&M n° 1258) –, profite des grands espaces pour pousser à fond sa mobylette. Réinsertion réussie donc. Sauf pour Sofia, qui s’accroche à son rêve de retour, à son indélébile identité, et qui rejette violemment tout ce qui l’en sépare : la pension huppée où Madame Laktani – Amal Ayouch – fait régner sans excès culture arabe et morale musulmane, ses copines émancipées assez proches de la jeunesse dorée décrite par Leïla Marrakchi dans Marock (voir H&M n° 1260), son petit ami Amar – Salim Gharbi –, beau gosse qui n’a que le tort d’envisager le mariage officiel, et jusqu’à sa demeure, son mode de vie confortable et tout ce Maroc qui l’entoure et l’étouffe. Elle vit sous tension, en conflit avec tout le monde, à propos de n’importe quoi. Hafsia Herzi excelle dans ses moments de composition extrême... mais ceux qui la croiraient installée dans un système de jeu répétitif devront réviser leur jugement – même si la réalisation, souvent invraisemblable et alourdie de détails peu réalistes, ne nous facilite guère le cheminement vers l’évolution des personnages et les retournements de situation. Car Sofia sort par moments de ses obsessions et de ses crispations, bien qu’ayant atteint sa majorité et pouvant revendiquer la libre disposition de son passeport. Dans l’un de ces répits, elle seconde son père aux travaux des champs avec autant de tendresse que de farouche détermination, elle se fait la complice des enfantillages de son petit frère, elle traduit Baudelaire en arabe. “L’invitation au voyage” : tout un programme ! On s’aperçoit alors que ce qui comptait pour elle était la liberté du choix et non la soumission à la règle, la construction identitaire et non la déchirure. Dès son premier court-métrage, Salam, en 1999, déjà, la réalisatrice Souad El-Bouhati jouait aussi sur la confusion d’un retour au pays : celui d’un vieil immigré qui ne voulait pas perdre la face. Le rapprochement avec cet autre film peut aider à lever les quelques ambiguïtés présentes dans celui-ci.