Chronique livres

Hammam & Beaujolais

de Nadia Khouri-Dagher, éd. Zellige, 2008, 220 pages, 19 euros

Libanaise vivant en France, Nadia Khouri-Dagher est journaliste et essayiste. Spécialisée dans le monde arabe, auteur de nombreux reportages sur les “émigrants” – elle préfère ce terme à celui d’“immigrés” –, elle interroge depuis une vingtaine d’années les questions culturelles et identitaires. Hammam & Beaujolais est un lexique où, de “accent” à “zut” en passant par “Andalousie”, “épices”, “femmes”, “islam”, “manif”, “quartiers”, “sans-culottes”... Elle reprend ici ces questions sur un mode plaisant et tout personnel en s’appuyant sur un dictionnaire subjectif, intime parfois et, in fine, utile à tous. En effet, sous la légèreté du propos, ce livre traite d’un sujet essentiel pour nos contemporains : le dialogue du particulier et de l’universel, la question des appartenances plurielles, des identités composites et changeantes. Comment, tout en respectant l’universalisme de l’humanité, ne pas nier les différences, les formes particulières d’être au monde et à soi ? Avec simplicité mais non sans profondeur, Nadia Khouri-Dagher revient sur son histoire personnelle et familiale pour saisir les différences, des plus prosaïques aux plus sacralisées, qui distinguent les Français et les Libanais. Traditions et façons d’être peuvent différer, il n’en demeure pas moins qu’elles servent toutes les mêmes desseins : vivre, partager, échanger, aimer... Qu’est-ce qu’être français ? Selon Nadia Khouri-Dagher la réponse s’articule autour d’un art de vivre, une gastronomie, une légèreté et un goût pour l’impertinence, pour la conversation et l’échange. La “francitude” se niche aussi, loin des grandes villes, dans les cultures régionales, ou dans la culture populaire, véhiculée principalement par son médium numéro un, la télévision, mais aussi par la radio. Pour l’auteur, issue d’une société autrement cloisonnée socialement, la France, c’est aussi la découverte de l’égalité entre hommes et femmes, celle des brassages sociaux... de sorte que “les enfants d’émigrants pourront devenir français quand ils seront plongés dans la société de France [...]”. “L’Andalousie, moi, je la vis à Paris”, “dans l’Occident métissé”, écrit l’auteur. Dans la France mondialisée et de plus en plus métissée s’estompe l’idée d’un modèle culturel ou civilisationnel unique – qui fut dans un passé récent souvent hautain et méprisant pour les peuples colonisés ou dominés. “Passer d’une culture à une autre est [...] une leçon de relativisme culturel”, explique Nadia Khouri-Dagher. Si le vin – le beaujolais en l’occurrence – est ainsi célébré en France, en Orient, ce serait plutôt le haschich qui tourne les têtes. Et de rappeler justement qu’avant que le rigorisme religieux n’étouffe les sociétés arabes, le vin était chanté par les poètes arabes(1). Le vin et l’amour. Ainsi plaisirs, raffinements, légèreté ignorent les frontières et savent se jouer des barrières linguistiques – entre autres. “Mes vingt années d’anthropologie, d’études et de voyages m’ont appris que rien ne ressemble plus à une réunion de famille qu’une autre réunion de famille, l’affection d’une grand-mère à celle d’une autre grand-mère, un rire d’enfant heureux à un autre rire d’enfant heureux [...], la fierté d’une identité culturelle à celle d’une autre identité.” Hammam & Beaujolais est un hymne à l’échange, au partage et à la compréhension de l’autre. Mais le souci, louable, de confondre de supposées différences et de démontrer l’inanité d’un soi-disant “choc des civilisations” ne devrait pas dispenser de parler de spécificités lorsqu’elles existent. On a parfois l’impression que l’auteur, emportée par son élan et sa volonté démonstrative, en vient à minimiser ces particularités – on pense bien sûr à la question religieuse ou au statut de la femme. Dans son article sur la joie – érigée en Orient “comme dans bien d’autres pays” en forme de savoir-vivre, Nadia Khouri note : “La joie [...] n’appartient à aucune culture en exclusivité. Mais la civilisation moderne, soucieuse d’efficacité et de productivité, et qui laisse moins de temps à la convivialité, [la] gomme chaque jour partout un peu plus.” Et si le vrai problème n’était pas les différences culturelles, bien relatives donc, mais bien plutôt l’émergence d’une nouvelle culture, une “modernité” froide, techniciste, productiviste – la “nouvelle barbarie” dont parle Edgar Morin – qui, partout, installe le primat des rendements, des résultats et des machines au détriment des hommes et des femmes ?