Chronique cinéma

Les citronniers

Eran Riklis (2008)

La folie meurtrière qui agite continuellement le Moyen-Orient, rend cruellement obsolètes, les pacifiques symboles végétaux souvent évoqués dans ces contrées. On sait ce qu’il est advenu des cèdres du Liban, pour ne pas remonter jusqu’à la déroute des rameaux d’oliviers bibliques. Dérisoires messages de paix brandis par des foules mitoyennes, plus souvent faucons que colombes. Avec sa coscénariste Suha Arraf, déjà sa collaboratrice pour (2004, voir H&M 1255) Eran Riklis a choisi de nouer son action autour d’un verger de citronniers, arbre esthétique aux fruits goûteux, à la fois acides et suaves, mais qui peut se charger d’autres signes sur ces terres disputées. Depuis la mort de son époux et le départ de ses trois enfants (deux filles casées et Nasser, le fils qui cherche en vain fortune aux Amériques) Selma Zidane (Hiam Abbas, parangon de la femme orientale noble et passionnée), cultive et fait fructifier l’héritage : un verger de citronniers enracinés dans la terre ancestrale. Dans cette tâche ardue, elle ne peut compter que sur le dévouement de son vieux domestique Abu Hussam (Tarik Kopty que l’on retrouve avec plaisir après La visite de la fanfare, H&M 1270). Malheureusement la plantation est située dans un petit village palestinien de Cisjordanie, sur “la ligne verte”, limitrophe d’Israël et des territoires occupés. Elle devient de facto un point stratégique. D’autant que dans un plan qui ne doit rien au hasard, le ministre de la défense nationale Navon (Doron Tavory) vient y installer sa résidence. La pose de barbelés, de barrières de sécurité, de caméras de surveillance et même d’un mirador où se succèdent des bidasses un peu trop débonnaires, n’assurent pas une protection suffisante. Il est impératif de raser les citronniers qui peuvent servir de cache aux terroristes, ou pire de poste avancé pour perpétrer un attentat contre cet homme politique de premier plan. L’armée soutenue par le gouvernent en a décidé ainsi. Selma ne peut guère se livrer à des opérations de force. Elle est néanmoins décidée à faire front avec toutes les armes de la légalité. Apparemment bien conseillée par Ziad Daoud (Ali Suleiman), un jeune et séduisant avocat fraîchement rapatrié de Russie, elle va remonter jusqu’à l’arbitrage de la Cour Suprême. En fait l’homme de loi, obsédé par sa propre réussite comme il l’est par l’odeur de hareng saur attachée à ses doigts qui pourrait trahir son origine et lui porter préjudice, plaide surtout une affaire gratifiante qui lui vaudra la célébrité, malgré (ou à cause) de l’échec face à l’opinion palestinienne et internationale, faisant de lui le paladin infatigable de cette guerre des citrons. Mais le film de Riklis n’en reste pas là. Dans les fables, les vrais triomphes ne sont pas toujours où on les voit. Même rejetée sans indemnités la cause de Salma n’est pas tout à fait perdue. Elle a pu échanger avec Mira (Rona Lippaz-Michael), la femme du ministre, des regards qui ne resteront pas sans lendemain. Les hommes n’ont qu’à bien se tenir, ou leurs victoires seront éphémères.