Champs libres : films

Les Misérables

Film de Ladj Ly (France, 2019)

Après les filles de Divines de Houda Benyamina en 2016, c’est au tour des gamins de Montfermeil (93) de monter les marches du Festival de Cannes 2019 pour le premier long-métrage de Ladj Ly. Et l’ovation qui a salué la projection, ainsi que le Prix du Jury qui l’a récompensé au palmarès ont fait des Misérables le film évènement de l’année. Cerise sur le gâteau, il représentera la France aux Oscars en février prochain.

Journaliste Cinéma.

Après les filles de Divines de Houda Benyamina en 2016, c’est au tour des gamins de Montfermeil (93) de monter les marches du Festival de Cannes 2019 pour le premier long-métrage de Ladj Ly. Et l’ovation qui a salué la projection, ainsi que le Prix du Jury qui l’a récompensé au palmarès ont fait des Misérables le film évènement de l’année. Cerise sur le gâteau, il représentera la France aux Oscars en février prochain.

Depuis La Haine de Mathieu Kassovitz en 1995 qui fit deux millions d’entrées, les films sur la banlieue ont fait florès avec plus de déceptions que de réussites, dont on peut extraire, L’Esquive (2004) d’Abdellatif Kechiche ou La Désintégration de Philippe Faucon (2011), les autres n’ayant pas souvent échappé aux clichés et à la caricature dont s’est brillamment gardé Ladj Ly, en racontant sa cité et sa vie, celles des Bosquets en Seine-Saint-Denis. Rarement regard posé sur l’univers des grands ensembles se sera avéré aussi juste et pertinent. Et on se réjouit d’avance en apprenant que le jeune réalisateur qui s’est formé sur le tas avec l’expérience de son collectif Kourtrajmé (court-métrage en verlan) ajoutera deux volets à sa trilogie. Le second sera un biopic sur Claude Dilain, l’ancien maire socialiste de Clichy-sous-Bois, et le troisième portera sur les années 1990.

Ce qui emporte l’adhésion, au premier abord, c’est la dramaturgie et l’originalité du ton. Le film s’ouvre sur un moment de liesse et de fraternisation, en l’occurrence la célébration sur les Champs-Élysées de la victoire française lors de la Coupe du monde de football 2018. Un jeune gamin du 93 est ceint du drapeau tricolore. On retrouvera Issa (Issa Perica) dans son cadre de vie, cette cité, comme pour indiquer que, décidément, le retour à la case départ est une fatalité…

La première partie des Misérables se déroule selon le genre de la chronique qui relate le quotidien des habitants en situant les personnages du récit qui va suivre : les gamins (les microbes), et notamment Issa qui fait un passage au commissariat ; l’arrivée de Stéphane (Damien Bonnard), fraîchement muté à la Bac où il fait la connaissance de ses coéquipiers, Chris (Alexis Manenti) le dur et Gwada (Djebril Zonga) le black, donc « traître » ; le maire (Steve Tientcheu) qui n’a de fonction municipale que l’appellation ; Buzz (Al-Hassan Ly) dont la caméra renvoie à celle que Ladj Ly découvrait à 9 ans lors des émeutes des cités ; le drone qui va jouer un rôle capital dans la deuxième partie du film lorsque celle-ci basculera dans la violence et le polar ; sans oublier les frères « Muzz » (les Frères musulmans) qui jouent la carte de l’apaisement.

L’extrême richesse du propos réside dans l’occultation volontaire de la part du metteur en scène des figures de style imposées des films de banlieue que sont le trafic de drogue ou le rap, qui laisse place ici à une belle musique électronique. Tous les personnages, y compris les flics, échappent à la caricature et au stéréotype, s’exprimant plutôt dans la nuance et la complexité, reflétant in fine ce qu’on pourrait appeler la vérité vraie… En fin de compte, c’est dans ces entre-deux que le film trouve son originalité et sa réussite.

La cité fonctionne ici comme un microcosme de ces univers en béton où le flic qui débarque est autant victime que les jeunes persécutés par la Bac. De l’autre côté, il y a la communauté gitane qui vit en vase clos avec son cirque. Et la disparition – sinon l’enlèvement par le jeune Issa – d’un lionceau va mettre le feu aux poudres et précipiter les événements tragiques qui vont embraser la cité dans une séquence finale où s’affirment le brio de la mise en scène et la maîtrise du réalisateur.

Avec l’argent gagné, Ladj Ly perpétue son projet de former des jeunes des Bosquets aux métiers du cinéma, désireux qu’il est de briser la fatalité de l’échec. À ses côtés se retrouvent ses amis de toujours qui ont eu le même parcours professionnel que lui. Ils se nomment entre autres, les frères Gavras, Toumani Sangaré, Mathieu Kassovitz ou Kim Chapiron. Ils ont tous participé à la naissance et à l’essor de Kourtrajmé en y apportant leur contribution et leur engagement citoyen. Soulignons que le passé de documentariste de Lady Ly est pour beaucoup dans la qualité de l’écriture cinématographique des Misérables.

Le film est sorti sur 500 écrans, ce qui est très rare, et donnons le mot de la fin à cet auteur si singulier qui a confié à l’hebdomadaire Marianne : « J’aimerais qu’il soit vu par un maximum de gens, qu’il existe longtemps, longtemps… et qu’on nous dise : “Je comprends…” qu’il suscite de l’empathie… », celle qu’on ressent à la vision de cette œuvre à la fois rare et remarquable.