Champs libres : films

Mignonnes

Film de Maïmouna Doucouré (France, 2020)

journaliste

Réussir un film à hauteur d’enfant est une gageure que peu de cinéastes sont capables de faire aboutir. Pour son premier long-métrage, Mignonnes, meilleure réalisation au festival de Sundance, la franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré, déjà révélée par Maman(s), court-métrage primé 60 fois et césarisé en 2017, s’octroie une place singulière parmi les cinéastes femmes issues de l’immigration.

Après deux années d’enquête et de recherche dans l’univers des cités, elle signe une mise en scène pleine de rage et de vitalité pour raconter le quotidien de cinq adolescentes férues de « twerk », une danse sensuelle faite de déhanchés provocants, d’où ressort le portrait tout en nuances d’Amy (exceptionnelle Fathia Youssouf), choisie parmi un casting qui comportait près de deux cents fillettes entre 11 et 13 ans.

Amy, diminutif de Aminata, vit avec sa mère et ses deux jeunes frères dans un immeuble communautaire du 19e arrondissement de Paris lorsque sa vie va être bouleversée par l’annonce de l’arrivée du Sénégal d’une seconde épouse, comme cela est malheureusement fréquent dans certaines familles africaines. Elle en est bouleversée, d’autant que sa maman accepte sans regimber la décision de son mari qui vit sans doute selon les codes du patriarcat les plus rétrogrades. Âgée de 11 ans, Amy va trouver une échappatoire grâce à sa rencontre avec quatre autres pré-ados qui ont formé une troupe de danseuses de twerk, avec pour ambition de triompher lors du concours prévu pour la fin de l’année scolaire. Malgré quelques embrouilles au moment de s’intégrer à la troupe, elle affiche de telles aptitudes pour la danse et la chorégraphie qu’elle finit par s’insérer en lieu et place de Yasmine, une des filles au corps plutôt très enveloppé.

Tiraillée entre deux cultures à un âge où il est difficile de trouver ses repères et sa propre identité, Amy est en fait le produit de l’expérience personnelle de la réalisatrice : « C’est quelque chose que j’ai vécu, nous dit Maïmouna Doukouré, et dont je me suis largement inspirée pour le film. Mes parents sont d’origine sénégalaise et étant enfant j’ai souvent été tiraillée par ma double culture. Avec mes neuf frères et sœurs, mes deux mamans et mon père dans notre petit appartement parisien, c’est sûr qu’on ne ressemblait pas aux autres familles. Puis, toujours entre mes cultures sénégalaise et occidentale, est venue la question du comment devenir une femme. Une question qui m’a longtemps hantée. D’ailleurs moi, à 11 ans, mon rêve était d’être un garçon. Je n’avais rien contre ma féminité, mais j’avais juste l’impression que la vie serait plus juste. Car autour de moi j’ai observé beaucoup d’injustices que vivaient les femmes. Je pense que c’est une révolte qui m’anime encore aujourd’hui pour créer… »

Dans le film, une amitié sincère et profonde va rapprocher Amy d’Angelica (Médina El Aidi-Azouni, excellente elle aussi) qui habite au-dessus de chez elle. Elle va aussi se transformer physiquement, adoptant des tenues de jeune fille avec ce haut du corps qui laisse voir le nombril, au risque de choquer l’entourage et les garçons. D’ailleurs, elle sera la risée du quartier suite à une altercation au cours de laquelle un smartphone la photographie dénudée et en culotte, et ce au grand dam des Mignonnes qui vont l’exclure du groupe pendant un long moment. Amy fait le désespoir des siens au point que sa tante (Mbissine Thérèse Diop) fait appel à un imam pour la désenvoûter. En réalité, Amy est en pleine révolte contre son père qu’on ne verra jamais, tandis que sa mère Mariam (Maïmouna Gueye, très bonne) continue à lui témoigner son affection malgré sa tristesse de voir débarquer bientôt une seconde épouse.

Révolte aussi contre les embrouilles qui traversent le groupe des Mignonnes et entravent les efforts pour être prêtes le jour du grand concours. Et c’est sans doute là la clef du film que résume bien la cinéaste : « C’est l’histoire d’une petite fille qui grandit trop vite et qui va arriver à un point de rupture, de déchirement. Son corps et son esprit vont lui dire stop et lui demander de prendre le temps de grandir. S’il y a un message, c’est celui-ci. »

L’autre sujet du film, c’est bien sûr cette danse, le twerk, qui crée un décalage avec des corps en transition. Et cela fonctionne comme un hiatus frappant et très cinématographique. Et là encore, reprenons les propos de la cinéaste : « La danse est un prétexte car il fallait passer par le corps et son expression pour filmer cet âge transitoire où le corps de la jeune fille se métamorphose et engendre de multiples questionnements et parfois aussi un rejet de sa propre image. Bien sûr, ces très jeunes filles ne se rendent pas compte du message qu’elles renvoient en dansant et s’exposant ainsi. De mon point de vue, l’attitude provocante de certaines, qui ont l’air émancipé, est liée à un besoin d’amour… »

Mignonnes, c’est d’abord un formidable récit pour lequel Maïmouna Doucouré s’est adjoint trois collaboratrices, d’où un scénario très charpenté. La réalisation, d’une grande maîtrise cinématographique, n’exclut ni l’émotion ni la poésie qui accompagnent certaines séquences. La direction d’acteurs, s’agissant surtout de préadolescents sans expérience du 7e Art, concourt à la réussite de ce qui constitue l’une des grandes surprises de cette rentrée cinématographique.

 

Mots clés
préadolescence