Ce premier roman d’une professeure de lettres rennaise dépoussière et aère un genre – le roman de l’immigration – qui parfois s’enferre dans le répétitif, le larmoyant ou le tragique. Bretonne pure sucre par ses aïeux, Marylinn Maurage cultive aussi sa celtitude en élevant, entre deux copies à corriger, des moutons d’Ouessant : petits par la taille, certes, mais au cornage de bélier et communément qualifiés de “tondeuse écologique”. Il n’est pas étonnant, dès lors, que la Bretagne et même la Bretagne bretonnante offrent le cadre de ce récit. Migrateur surprendra par sa légèreté et sa vivacité à se rire de tout, en mêlant subtilité, humour, intelligence à des fragrances d’Habanita qui courent tout au long de cette histoire de frontières et d’amour. Ce livre jubilatoire paraît dans une collection au titre évocateur, “Facéties”... et l’auteur, d’entrée, en rajoute une couche avec une citation du jeune Viktor Pelevine : “le monde n’est qu’une blague que Dieu se raconte à lui-même”. Dans Migrateur, la blague a l’allure d’un clandestin russe qui, sitôt sorti de la soute de son cargo de fortune, doit illico draguer une fille, histoire de ne pas dormir dehors, avant de se constituer tout aussi vite un dossier aussi factice que béton pour émouvoir les juges de l’Ofpra. Après quelques péripéties permettant aux lecteurs d’apprécier l’instinct de survie du jeune homme – on pense alors au récent et autrement sanguinaire Trans de Pavel Hak –, Vadim trouve refuge chez Meil, une comédienne dilettante qui tient le rôle de Simone dans La Religieuse de Diderot. Meil est aussi agréable que plaisante, mais présente, pour Vadim, l’extrême désagrément d’être homosexuelle. Car, bien sûr, le cœur du slave s’amourache de la belle celte ; et, étant donné les préventions de la jeune femme, il est préférable de vivre sa passion dans la clandestinité. Effectivement, “l’immigration ça fout le bordel”, au point de bousculer toutes les fausses évidences et les repères, en apparence de bon aloi. Ainsi, le désormais fameux “la France, tu l’aimes ou tu la quittes” se révèle une belle bêtise : c’est au contraire par trop d’amour que Vadim risque, lui, l’expulsion de l’appartement-refuge. Notre jeune homme se trouve face à une double frontière et il n’est pas certain que la barrière de l’amour soit moins haute que celle du droit national : “Je ne peux rien pour toi... On n’est pas de la même espèce, tu n’es pas un être humain pour moi... enfin, je peux te parler... mais je ne peux pas faire autre chose, je ne peux même pas l’imaginer [... ]”, dixit l’honnête mais écœurée Meil. Marylinn Maurage convoque moult épisodes cocasses et révélateurs de quelques aspects et personnages de notre moderne société : une boutique bio que fréquentent de vieux libidineux, un salon catho-bio où Meil revêt son costume de religieuse du... xvIIIe siècle, des chats maquillés en petits tigres et des fausses reliques, le tout vendu chèrement à la crédulité et à la convoitise, un militant d’Attac peu sympa, un pope russe plus avenant, une campagne bretonne grise où l’indigène est vieillissant... Pourtant, après les reportages consacrés à l’expulsion de sans-papiers, la France semble insouciante devant sa ration de publicités télévisuelles. Mais la Bretagne de Marylinn Maurage n’est pas celle d’un certain natif de la Trinité-sur-Mer. Plutôt celle de Montfort-sur-Meu. Une Bretagne accueillante et solidaire, même si l’argent et le travail font défaut. Ainsi les copains de Vadim vont se mobiliser et l’aider à rester en France. C’est d’ailleurs Valentin, le troisième larron de la bande, qui trouvera la bonne – et saugrenue – idée ; celle qui permettra à Vadim de passer les frontières.