Éditorial

Ni muséification, ni ghettoïsation de l'immigration

Rédactrice en chef

En 2012, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration va célébrer les cinq ans de sa création et de l’ouverture de son musée au public. Cette étape dans la mise en oeuvre d’un projet muséal atypique en Europe nous invite à un temps de réflexion collective. Lors de la période de préfiguration, la Cité avait déjà interrogé d’autres musées dont l’objet principal était similaire, à l’occasion d’un colloque international intitulé “Musée et histoire de l’immigration, un enjeu pour toutes les nations”, qui s’était tenu en 2004 à la Bibliothèque nationale de France.

Toujours dans cet intérêt pour la comparaison internationale, la revue Hommes & Migrations fait paraître ce dossier coordonné par le Cadis (EHESS) et l’université de Berkeley à partir des contributions du colloque qu’ils ont organisé en 2010 sur le thème “Musées et migrations” en collaboration avec la Maison des sciences de l’homme (Paris). Grâce au panel d’expériences très diverses, ce dossier nous fournit des éléments stimulants pour de nouveau mener une réflexion sur la prise en compte de l’immigration par les musées.

La problématique se situe au croisement de deux débats contemporains. D’un côté, l’étude des migrations s’est récemment intéressée à la dimension culturelle des phénomènes migratoires, en menant des travaux sur les pratiques et les transmissions culturelles, sur les créations issues des expériences de l’exil, mais aussi sur les représentations de l’immigration dans les sociétés d’accueil. De l’autre, l’étude des musées interroge l’efficience des institutions patrimoniales, non seulement en termes de développement et de diversification des publics, mais dans leur capacité d’innovation pour adapter leur offre aux principes d’une démocratisation de la culture.

Les approches adoptées dépendent des récits et des modèles culturels nationaux. L’Europe se distingue du Nouveau Monde par une reconnaissance tardive et hésitante de la place de l’immigration dans son histoire officielle. La plupart des initiatives sont portées par des musées locaux ou par des institutions culturelles déjà mobilisés sur les problématiques interculturelles. La place de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, musée d’histoire à vocation nationale, apparaît à ce titre tout à fait particulière.

Ce dossier montre que le rapport des musées à la problématique migratoire varie fortement d’un projet à l’autre. Se dessine ainsi un cadre interprétatif de ces projets muséaux dont les deux extrêmes seraient soit une muséification de l’immigration doublée d’une lecture assimilationniste de son histoire, soit une auto-exotisation qui finit par enfermer les migrants dans une approche communautaire.

Mais la lecture du dossier ouvre également des perspectives fécondes. Certains projets montrent l’avantage de s’éloigner d’une vision trop unilatérale de l’immigration du point de vue du pays d’accueil en explorant les phénomènes diasporiques et les circulations migratoires de manière plus globale. D’autres envisagent les brassages culturels et les dynamiques identitaires comme autant d’opportunités de revisiter les codes culturels et les critères esthétiques des sociétés contemporaines. De nouvelles perspectives que la revue aura plaisir à accompagner à l’avenir.