Éditorial

Quand l’environnement provoque l’exode

Le tremblement de terre en Haïti et ses conséquences humanitaires ont placé au coeur de l’actualité la problématique des “réfugiés de l’environnement”, pour l’heure des survivants du séïsme du 12 janvier 2010 qui tentent de fuir les zones dévastées. La question de la prévention possible de telles catastrophes provoquées par des changements brusques de l’environnement se pose, tandis que l’urgence est d’abord de secourir les survivants, d’organiser l’accueil des réfugiés dans des lieux sécurisés. Le désastre a également relancé le débat sur le statut et les dispositifs à mettre en place pour les victimes d’un chaos naturel. Le mouvement de solidarité suscité dans l’opinion internationale peut-il faire avancer aujourd’hui ce débat ?

Le cas haïtien vient rejoindre la liste déjà lourde des catastrophes liées à des changements climatiques, des séismes, des inondations ou tsunamis qui ont provoqué des mouvements forcés de populations d’amplitude diverse. Les catastrophes naturelles ne sont pas seules en cause : certaines exploitations industrielles des ressources rendent inhabitables des territoires. Ces migrations peuvent se situer au sein des espaces nationaux ou bien franchir les frontières. Alertés, les États ou les instances internationales agissent souvent dans l’urgence, sans toutefois assumer leur responsabilité, ni envisager de participer activement à une réflexion devenue nécessaire sur le statut de ces réfugiés qui ne relèvent pas d’une protection internationale au titre de victimes de guerre, de conflits politiques ou de persécutions religieuses. Des freins et des hésitations incompréhensibles quand l’exode des personnes prend des dimensions humanitaires insoutenables.

Mais que sait-on précisément des relations de causalité entre les dégradations de l’environnement et les déplacements de populations ? Encore trop peu d’études sérieuses, fondées sur des recherches de terrain, sont à même de nous fournir des connaissances et des explications scientifiques, notamment parce que “le champ est marqué par une opposition stérile entre spécialistes de l’environnement et spécialistes des migrations, les uns adoptant volontiers un discours alarmiste sur la question, tandis que les seconds restent généralement sceptiques quant à l’émergence d’une catégorie migratoire supposément nouvelle” précise François Gemenne, un des rares spécialistes aujourd’hui de cette question. Et ces lacunes alimentent dans le débat, et parfois dans l’agenda politique, des idées et des estimations approximatives. Pourtant le champ de ces études émerge progressivement sans forcément diffuser ses premiers résultats auprès d’un public large, sensible au sort de ces réfugiés d’un genre nouveau.

Ce dossier de la revue Hommes et Migrations explore la situation des migrations liées aux questions d’environnement grâce aux résultats d’un vaste programme de recherche coordonné, entre autres, par François Gémenne. En effet, entre 2007 et 2009, le projet européen EACH-FOR (Environmental Changes and Forced Migration Scenarios) s’est fixé pour objectif d’analyser les relations concrètes et vérifiées entre divers types de dégradations environnementales et les migrations de populations qu’elles provoquent. Le dossier propose ainsi un large panorama de ces “migrations environnementales” en comparant des aires géographiques et des dégradations de l’environnement très diverses. En diffusant les synthèses de ces études, la revue espère apporter sa contribution au débat scientifique et alerter l’opinion sur la diversité des situations.