Champs libres : films

Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon Dieu ?

Film de Philippe Chauveron (France, 2022)

Au départ, Philippe de Chauveron, auteur et réalisateur, et son co-scénariste, Guy Laurent, décident de s’attaquer à un sujet éminemment sensible dans l’Hexagone : les mariages mixtes, souvent sources de tourments et de conflits, mais également de certaines réussites.

Plutôt que d’en faire un film grave et sérieux, ils empruntent avec talent le chemin de la comédie. À la sortie de l’opus 1, en 2014, la surprise est totale en termes de succès public : 12 300 000 spectateurs envahissent les salles et font un triomphe à ces auteurs à la fois courageux et subtils, à l’image de la mise en scène de Philippe de Chauveron. Ce dernier a réuni un casting de poids autour du couple « bourgeois franchouillard » formé par Claude (Christian Clavier) et Marie (Chantal Lauby), qui découvre avec étonnement et effarement – les préjugés racistes ayant la vie dure – que leurs quatre filles, Isabelle (Frédérique Bel), Ségolène (Émilie Caen), Odile (Alice David) et Laure (Élodie Fontan), sont tombées en amour de quatre garçons dont les origines sont loin d’être gauloises, comme les parents l’auraient appelé de leurs voeux. Il y a là David Bénichou (Ary Abittan), juif, Rachid Benassem (Medi Sadoun), arabe, Chao Ling (Frédéric Chau), chinois, et Charles Koffi (Noom Diawara), ivoirien. Et tandis qu’on s’attend à une pétaudière due aux différences culturelles et religieuses, le couple Verneuil va, à travers quiproquo et péripéties avec d’excellents dialogues, finir par accepter ces gendres venus d’ailleurs. Un opus 2 verra le jour en 2019, une suite tout aussi réussie qui continue à fidéliser un public qui se compte au nombre de 6 700 000 spectateurs, attachés à retrouver ces personnages qui, dans une démarche chorale, sont toutefois en harmonie de jeu.

Le troisième film, Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon Dieu ?, qui avoisine à ce jour les 2 500 000 entrées, connaîtra un démarrage délicat : alors que le scénario est bouclé, survient le premier confinement face à l’épidémie de Covid-19… Mais les acteurs ne sont pas découragés et Christian Clavier donne son accord. Chantal Lauby qui n’a pas d’adresse mail, ne peut pas prendre connaissance du scénario. Malgré les limitations de déplacements, c’est le producteur lui-même qui dépose le texte dans la boîte aux lettres de la comédienne qui ne le récupérera que quinze jours plus tard, par peur d’être contaminée en le touchant ! Après lecture, elle donne son accord ainsi que le reste de la distribution, hormis Julia Piaton (interprète d’Odile), bloquée sur un tournage et qui sera remplacée par Alice David.

Pour écrire cette suite, les auteurs imaginent de faire venir à Chinon les parents des quatre gendres à l’occasion des 40 ans de mariage du couple Verneuil. Là aussi, le casting va s’avérer judicieux. Les parents étrangers viennent chacun d’un pays différent : André Koffi (Pascal Nzonzi) et Madeleine Koffi (Salimata Kamate) débarquent de Côte d’Ivoire, Isaac Bénichou (Daniel Russo) et son épouse Sarah (Nanou Garcia) viennent d’Israël, Mohamed Benassem (Abbès Zahmani), marié à Mokhtaria (Farida Ouchani), quittent l’Algérie, et enfin Dong Ling (Bing Yin) et Xhu Ling (Li Heling) arrivent de la lointaine Chine.

Le tournage du film a été fortement touché par le malheur. En effet, alors qu’ils quittaient le plateau en voiture, Morvan Omnès, son fils Milo et Hervé Ribalto, tous trois machinistes, sont décédés après avoir été percutés à un carrefour d’une route de la Vienne. Longtemps prostrée, l’équipe a repris le film avec courage, et ce, en hommage à leurs trois camarades disparus.

Interrogé dans Le Parisien pour savoir si rire des clichés racistes conforte les spectateurs dans les préjugés ou s’il permet de les dénoncer, Christian Clavier répond avec force argument : « C’est une tarte à la crème votre question ! Je ne fais pas de sociologie. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a rien de plus efficace que de faire rire des défauts d’un personnage pour se mettre à distance de lui. La comédie est beaucoup plus forte que les films didactiques. Les spectateurs n’ont aucun doute sur le fait que le film dénonce les préjugés. »

Le récit est tout à la fois emballant et rythmé, les dialogues très travaillés font mouche et s’insèrent parfaitement dans une mise en scène maîtrisée. Interrogée dans le même quotidien, Tamara Lui, présidente de l’association Chinois de France, aime la saga « Bon Dieu », surtout le premier film. Pour elle, Frédéric Chau, qui joue le gendre asiatique des Verneuil, a fait bouger les lignes. « Il est emblématique des Chinois de France. Il est lui-même métis. Sa mère a fui les Khmers rouges au Cambodge. Ce brassage multiculturel, c’est le coeur du film. Les “Bon Dieu” parlent de la France telle qu’elle est vraiment, de ses métissages, avec beaucoup de fraîcheur et d’humour. »

Violette, adhérente d’une association communautaire juive, elle, adore le personnage de Claude Verneuil, bourgeois catholique, provincial, bourré de préjugés mais qui n’est pas raciste. Bref, la saga des « Bon Dieu » vient combler un vide dans le cinéma français quand on connaît en plus la situation générale dans l’Hexagone en matière de racisme, de discrimination et de préjugés… Mais le rire est un formidable antidote et les « Bons Dieu » sont un bon accélérateur du vivre-ensemble.