Champs libres : livres

Les Couleurs

Valentine Hamet, Paris, Les Avrils, 2022, 224 p., 20 €.

Secrétaire de rédaction

Ils et elles s’appellent Mouss, Solal, Salimata, Paula, Andreï 1 et 2 ou Ixi… Ils viennent du Tchad, d’Afghanistan, d’Europe de l’Est, de Chine… Ils et elles ont entre 11 et 13 ans et portent pour tout bagage scolaire les traumatismes de leur trajectoire migratoire. Un bagage lourd de la violence de l’exil. En France, la scolarisation de ces élèves primoarrivants s’effectue dans des classes dédiées et est assurée par des enseignants bénéficiant d’une certification en français langue étrangère. Tel est le cas d’Amandine Hamet quand elle accepte une mutation au sein d’un collège de l’académie de Paris en vue de prendre en charge une unité pédagogique pour des élèves allophones arrivants non scolarisés antérieurement. Des débutants donc, et dans le même temps des rescapés, auxquels l’enseignante a pour mission d’apprendre les rudiments de la langue française et du vivre-ensemble en France. « Mes élèves débarquent continuellement, de septembre à juin. Je pourrais monter un laboratoire d’études sur la typologie des enfants rescapés de la Méditerranée ou des plaines et steppes entre l’Asie et l’Europe. » Dans ce témoignage vif et émouvant, Amandine Hamet ouvre une fenêtre intime sur le quotidien partagé avec ses élèves, un « tricot perpétuel ».

L’enseignement qui prévaut en UPE2A ENSA ne repose pas sur un programme mais sur la diversité des personnalités réunies au sein de la classe. « Travailler auprès de ces élèves, c’est apprendre à ne jamais savoir ce que l’on va faire. Accepter l’improvisation. C’est une performance vouée à l’éphémère. » Et l’enseignante nourrit et soutient la découverte à tâtons d’une langue, d’un pays, en adaptant son propos en permanence aux différents niveaux en présence, quand l’une a besoin de cours de phonologie et une autre de règles de grammaire, car elle a, en deux mois, « appris à lire et rédiger des phrases avec une syntaxe irréprochable ». Mieux, Amandine Hamet épaule ses élèves dans la gestion des multiples tracas de leur quotidien. « Je suis professeure de la vie. Je soigne leurs bobos avec de l’arnica que j’ai toujours dans mon sac, j’enseigne comment rester assis dans une salle, j’enseigne la naissance d’une amitié, je conseille à chacun de se laver chaque jour, je leur dis aussi de changer de tee-shirt ou de s’acheter un manteau car l’hiver arrive. »

Avec ces élèves, la brutalité du monde, la violence de la migration et celle du pays d’accueil font irruption dans l’univers feutré de la classe. Un élève plus âgé se prépare à subir un test osseux, un autre doit bénéficier d’un suivi médico-psychologique conditionné par la réussite du dialogue entre professionnels de santé et agents de l’Éducation nationale, une élève est absente et ne reviendra pas car elle a « traversé une mer pour rejoindre l’Angleterre », deux autres continuent à dormir, en France, dans un bidonville.
La beauté et la force des Couleurs tiennent à son récit de l’engagement d’une professeure aux côtés d’enfants dont les réalités et les besoins échappent souvent aux différentes administrations qui en ont la charge. Ainsi, Valentine Hamet porte leur voix : « En tant que professeure en UPE2A ENSA, je suis aussi une majeure non accompagnée. Je suis un majeur tendu vers le haut. » Elle défend surtout la reconnaissance de leur place au sein de la société française, en incarnant les valeurs de l’hospitalité dans son enseignement. C’est le sens de la chanson des Bérurier noir qu’elle se plaît à faire écouter à ses élèves, à propos de l’égale dignité des hommes sur terre : « Salut à toi, oh mon frère. »