Mathias Énard lauréat du Prix littéraire de la Porte Dorée 2013
L'édition 2013 du Prix littéraire de la Porte Dorée récompense Rue des voleurs de Mathias Énard, Actes Sud.
Le Prix littéraire de la Porte Dorée récompense un roman ou un récit écrit en français traitant du thème de l’exil. Mardi 4 juin 2013, les membres du jury du Prix littéraire de la Porte Dorée ont décidé de récompenser le dernier roman de Mathias Énard Rue des voleurs parmi huit titres présélectionnés.
Michaël Ferrier, écrivain, lauréat du Prix littéraire de la Porte dorée en 2011
“Écrire une épopée à la Sinbad sur le printemps arabe si tôt après les événements, c'est une gageure. Et je la trouve très réussie.”
Alice Zeniter, écrivain, première lauréate du Prix littéraire de la Porte dorée en 2010, Prix du livre Inter 2013.
“Osons un rapprochement rapide : ce nouveau roman de Mathias Énard a des airs d'Attrape-cœurs par la forme et d'un récit du grand écrivain arabe Naguib Mahfouz pour le fond. Le jeune Lakhdar n'est pas si éloigné du petit Holden Caulfield, même s'il est plus âgé (18 ans au début de l'histoire), il a le même âge mental et les mêmes rêves.”
Mohamed Aïssaoui, Le Figaro littéraire.
“Dans Rue des voleurs, la jeunesse, celle du Printemps arabe ou celle des Indignados, dit le commun de l’humanité, la liberté de vivre, d’aimer, de découvrir le monde. Face aux murs de l’ignorance, Mathias Énard prévient : « Un jour ou l’autre, il faut choisir son camp.”
Mustapha Harzoune, journaliste, critique littéraire.
Le Lauréat : Mathias Énard
Rue des voleurs, vu par Michaël Ferrier, écrivain, membre du jury
Dès le début, j'ai été pris par ce livre : Énard a un style, qui s'impose dès les toutes premières lignes. C'est rare. Ensuite, on peut ouvrir le roman à n'importe quelle page : tout de suite, la voix revient, caractéristique, inimitable. C'est un rythme particulier, avec une phrase parfois très longue et pourtant jamais pompeuse ou verbeuse. C'est une phrase en déplacement permanent, une phrase migrante, prenant appui sur une extraordinaire mécanique des points-virgules (Enard est un orfèvre du point-virgule, dans toutes ses nuances, dans toute son amplitude), et qui peut épouser aussi bien les sinuosités de la réflexion intérieure que la description d'un paysage de Barcelone ou de Tunis.
C'est aussi un livre courageux et intelligent. Courageux par son sujet, sujet brûlant qui aurait pu mener aux pires banalités ou, à l'inverse, aux pires extrémités (sur les Printemps arabes, l'attentat de Marrakech, la tuerie de Toulouse, l'Islam, le terrorisme). Intelligent par le choix des sites et des personnages, ainsi que par le traitement qu'il leur réserve : le choix de Tanger par exemple, ville-frontière qui nous rappelle à chaque rue que le destin du monde arabe est le nôtre, et en même temps ville en marge, tout comme le beau personnage de Lakhdar, le narrateur, complexe et séduisant, narrateur-chien fou, tour à tour irritant, amusant, émouvant.
Roman plein de poésie également, pas de cette "poésie" qui consiste à enrober les phrases avec de beaux adjectifs bien cousus et rutilants, mais d'une poésie pour ainsi dire interne, naissant de la syntaxe et du rythme autant que du vocabulaire et des images. La première phrase par exemple est époustouflante.
Enfin, c'est un livre loin des clichés, loin de l'ignorance phénoménale et de la bêtise qui s'empare des bouches et se pose sur les micros quand on aborde ces sujets. C'est un livre qui maîtrise parfaitement son projet, avec un humour à la fois féroce et fragile, un livre transpercé aussi par l'ironie et l'insolence, le tout servi par une langue superbe. Il faut le dire : par son sujet, par son style, par son ton, Rue des voleurs n'est pas seulement un bon ouvrage de plus sur l'exil, mais un grand livre qui sait nous arracher à nos certitudes, à nos indifférences ou à nos ignorances, pour nous faire entendre une voix singulière prise dans le tumulte du monde. C'est un livre fragile, parfois hilarant, souvent émouvant. Un livre vivant : « La vie est une machine à arracher l’être ; elle nous dépouille, depuis l’enfance, pour nous repeupler en nous plongeant dans un bain de contacts, de voix, de messages qui nous modifient à l’infini, nous sommes en mouvement. »
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