La sélection 2022 pour le prix de la BD

Retrouvez ici la présentation de la sélection pour le prix de la BD du Palais de la Porte Dorée.

Bella ciao, tome 2, de Baru (Futuropolis, 2021)

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Bella ciao - Baru

Saga familiale, Bella Ciao ressuscite la mémoire des migrants italiens, du massacre d’Aigues-Mortes en 1893, qui ouvrait le premier tome, au « ritorno », l’espoir du retour, qui clôt ce deuxième volet.
Ici, le récit pioche encore dans les souvenirs de Teodorico Martini, double narratif de l’auteur, et dessine, entre certitudes historiques et fiction de l’intime, une histoire populaire et déchronologique de l’immigration transalpine : la légion garibaldienne, le grand Saint-Lundi, le cousin collabo ou les frasques des frères Faedi… Mais au-delà de la petite communauté dont il fait le portrait, Baru interroge le statut même de l’exogène. Quand cesse-t-on d’être étranger ? Que faut-il consentir pour, malgré la nationalité acquise, ne plus être envisagé comme tel ? Une œuvre dédiée aux pères pour dire « le prix payé par les Italiens pour devenir transparents ».

Chez toi. Athènes, 2016, de Sandrine Martin (Casterman, 2021)

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Chez toi - Sandrine Martin

Athènes, 2016. Mona, réfugiée syrienne enceinte, veut rejoindre l’Allemagne. Monika est sage-femme et grecque. Inspirée par les témoignages recueillis par deux anthropologues dans le cadre d’une étude sur la maternité des réfugiées dans les pays frontaliers de l’Union européenne, Sandrine Martin dessine en miroir le destin de ces deux femmes liées par une amitié. Chacune, différemment, aspire à une autre vie, à un « chez soi ». Le temps d’une grossesse, l’album déplie le long processus administratif qui conduira la première à destination et témoigne de la condition des migrants dans une Grèce fragilisée par la crise que subit la seconde. Cette mise en scène du réel s’accompagne d’un commentaire de Cynthia Malakasis, chercheuse associée au projet EU Border Care. Un roman graphique sensible et documenté, résolument contemporain.

Comment réussir sa migration clandestine, de Salim Zerrouki (Encre de nuit, 2021)

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Comment réussir sa migration clandestine - Salim Zerrouki

« La plupart de ces histoires qui vont vous paraître affreusement cruelles, absurdes et impossibles, sont tirées de faits réels », alerte l’incipit. Vente d’organes, trafics d’êtres humains, migrants abandonnés en mer, violence dans les prisons libyennes, rien n’échappe à l’humour noir de Salim Zerrouki pour dénoncer les épreuves endurées par les migrants. Inspirées de la presse, les neuf histoires déclinées en chapitres convoquent le pire, jusqu’à l’insoutenable. Comment réussir sa migration clandestine, ou la crise migratoire dans toutes ses horreurs,emprunte avec cynisme au guide de voyage quand il décline conseils et astuces, aussi absurdes qu’effroyables : kit de survie, élixir pour interrompre les battements du cœur ou encore « comment augmenter ses chances de sauvetage en cas de noyade ». Un album choc.

Kazantzaki, vol. 1. Le Regard crétois, 1883-1919, d’Allain Glykos et Antonin (Cambourakis, 2021)

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Kazantzaki - Allain Glykos Antonin

Après Manolis et Gilets de sauvetage publiés en 2018, Allain Glykos et Antonin convoquent la figure de Nikos Kazantsakis. Influencé par la pensée de Bergson dont il fut l’élève et grand admirateur de Nietzsche, l’auteur du mythique Zorba le Grec et de la controversée Dernière tentation épouse l’histoire de son siècle. Né en Crète sous domination ottomane, témoin de la Grande catastrophe qui aboutit au massacre et à l’expulsion des chrétiens d’Asie mineure, l’homme de pensée est aussi homme d’action. Il sera notamment chargé, après la révolution russe, du rapatriement de milliers de Grecs du Caucase. Le regard crétois embrasse ces premières années dans un dialogue imaginaire-imaginé entre les deux auteurs Glykos et Kazantzaki élégamment mis en images.

Plus près de toi, tome 2, de Kris et Jean-Claude (Dupuis, 2021)

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Plus près de toi - Kris Fournier

Plus près de toi, fresque en deux volumes, s’attache au destin de tirailleurs sénégalais, engagés dès 1939 pour servir la France. Détenus par l’armée allemande dans un camp breton, Adi, jeune séminariste « presque prêtre », et son camarade Ibrahim trouvent réconfort et espoir auprès de jeunes françaises, Jeanne et Simone. Derrière la tragédie romantique point la chronique d’un village occupé et de ses habitants, entre lâchetés et fraternité. Des années de guerre à la libération, jusqu’au massacre de Thiaroye, Kris et Fournier éclairent le sort de ces jeunes soldats africains et nous livrent un récit plein d’humanité ; un plaidoyer pour le vivre ensemble.

Ouagadougou pressé, de Roukiata Ouedraogo et Aude Massot (Sarbacane, 2021)

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Ouagadougou pressé - Roukiata Ouedraogo - Aude Massot

Rouki, surnommée « petit modèle », nous entraîne de Château Rouge à Ouagadougou. À la veille de son retour au Burkina, la jeune femme fouille sa garde-robe comme autant de souvenirs : papa « chien méchant », les querelles de cours, les garçons choco, les filles coca-cola, et les premières fêtes en kataclando.Enfance et quotidien se mêlent, dans une langue qui, résonnant des faubourgs de Ouaga aux salons de coiffures du 18e , ambiance le récit. Inspiré du « seule en scène » de la comédienne et chroniqueuse Rokiata Ouedraogo, Ouagadougou pressé, illustré et coloré par Aude Massot, esquisse une galerie de portraits drôles et attachants emmenée par ce « petit modèle » qui n’est pas sans rappeler Aya de Yopougon.

Les saveurs du béton, de Kei Lam (Steinkis, 2021)

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Couverture les saveurs du béton de kei lam

Après Banana Girl, premier roman graphique et autobiographique, Kei Lam poursuit le récit de son enfance franco-chinoise au quartier de La Noue, au nord au Bagnolet. Avec tendresse et humour, l’autrice revit ses années collège de l’autre côté du périph, la découverte de la banlieue du haut de ses 10 ans et le quotidien des grands ensembles. Au gré des pages, l’adulte qu’elle est devenue interpelle parfois la préadolescente, se joue de l’innocence et des souvenirs, et interroge plus sérieusement les liens entre urbanisme et inégalités sociales. Mais, en s’attachant à sa famille et ses habitus, Kei Lam dévoile aussi une communauté trop souvent stéréotypée dont on sait finalement peu. Les saveurs du béton, c’est encore l’épreuve de la double culture, la difficulté à devenir soi quand on est autre, résumé à sa différence. Un très bel album, drôle et sensible.

Un pays dans le ciel, d’Aiat Fayez et Charlotte Melly (Delcourt, 2021)

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un pays dans le ciel - fayez et melly

Au cours d’une longue nuit Aiat révèle à Charlotte, qu’il accueille chez lui à Vienne, son séjour au « Bunker » où sont traitées les demandes d’asile. Le récit, enrichi de ceux des migrants en attente de statut, se déploie en dialogues : la conversation entre le narrateur et son invitée, les entretiens entre « officiers-protecteurs » et exilés. De ceux-là, nous ne savons rien sinon les témoignages, succession de violences et de souffrance, restitués en langues originales pour ajouter encore au réalisme des auditions. Nous apprenons des autres, les officiers, le doute et la difficulté de la décision. Roman graphique, Un pays dans le ciel, qui s’appuie sur l’expérience de l’auteur en résidence à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), découvre, entre tragédies individuelles et procédures institutionnelles, les mécaniques de l’accueil.