Portraits : des histoires singulières

Nouredine Hagoug

Né en 1963 à Marseille
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Nouredine Hagoug, le marcheur de fond © Atelier du Bruit
Nouredine Hagoug, le marcheur de fond © Atelier du Bruit

Le marcheur de fond

1963 : Naissance à Marseille
1977 : Second cycle au Lycée Thiers
1983 : Marche contre le racisme et pour l’égalité, de Marseille à Paris
1987 : Mariage avec Nasséra Benmarnia
2001 : Élu municipal des 13e et 14e arrondissements de Marseille, liste Jean-Claude Gaudin

Comme toute ma génération, j’ai été élevé dans le mythe du retour. Nous, les enfants, on était là pour gagner des diplômes, et puis on rentrerait dans notre pays, l'Algérie, pour aider à le reconstruire. Ce discours officiel des parents, j’y ai cru jusqu’à 14, 15 ans, jusqu’à ce que je commence à comprendre, confusément, qu’ils n’y croyaient pas forcément eux-mêmes. Quand j'ai eu 16 ans, je suis allé au Bureau des Étrangers pour faire ma carte de résident. On m’a répondu : "Monsieur, vous êtes Français, vous n’avez pas à avoir de carte de séjour." J’ai fait tout un foin, j'ai crié que j’étais algérien comme mon papa, comme ma maman, et au final, je suis resté quelques mois sans papiers – c'était moins vital, à l’époque. Un jour, sur une question de mon père, j’ai expliqué mon refus, très fier. Il m'a regardé dans les yeux et il m'a dit : "Arrête tes conneries et va faire tes papiers français au commissariat." Il n’était pas dupe de ses propres rêves. Il avait compris qu’il n’y aurait pas de retour pour lui, et encore moins pour ses enfants.

C'est comme ça qu'on a tous immigré

Mon père s’appelle Bachir Hagoug, et ma maman se nommait Fatima Zohra Ben Addouche. On est originaire de la région de Tlemcen, dans l'Ouest algérien, pas loin de la frontière marocaine. Avec un de ses cousins, mon père a été le premier à débarquer ici, à Marseille, en 1953 – il avait 17 ans. C'est comme ça qu'on a tous immigré. Fin 1961, il est retourné en Algérie pour se marier et ramener ma mère ici, directement au bidonville de la Timone. Je suis né à Marseille, un peu plus d’un an après, en février 1963. Il n’était pas tout à fait le premier. Avant, il y avait eu mon grand-père paternel, réquisitionné pour la guerre de 14-18 et revenu gravement blessé de Verdun ; alcoolique, aussi, parce que pour tenir le coup dans les tranchées, il s’était mis à boire. Il est mort en 1957, bien avant ma naissance – paix à son âme ; je me suis souvent demandé ce qui lui était passé par la tête, pendant toute cette odyssée. On ne le saura jamais. 

L'aîné des fils

 

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Nouredine Hagoug, archives. L’une des très rares photos d’enfance qu’il ait en sa possession : un dimanche à Gemenos, avec son père, ses deux frères, et lui (le plus grand), en haut, qui esquisse un salut militaire © Collection particulière Nouredine Hagoug, Atelier du Bruit.
Mon père était l'aîné des fils, il est parti d’abord parce que sa famille avait du mal à vivre. J'imagine aussi que l'appel de la France, dans un petit village algérien des années 50, c'était comme l'Amérique, une promesse d'aventure. De ses premières années en France, je sais très peu, parce qu’avec ses enfants, il avait une espèce de pudeur, il restait enfermé dans un rôle. Pour rien au monde, il ne se serait épanché. Il nous a fait comprendre, simplement, que la vie avait été dure. Et dans ma vie, quand j'ai eu des épreuves, je les ai toujours relativisées, en pensant à ce qu’il avait dû affronter.  Je crois qu'au début, il a travaillé à Lyon comme livreur de charbon. Et puis il a réussi à revenir sur Marseille, pour travailler dans le bâtiment, un peu comme tout le monde à l'époque. Il a commencé comme manœuvre et il était chef de chantier quand il a pris sa retraite. Pendant quelques années, avant qu’il les fasse tous venir ici, il a dû soutenir sa famille restée au pays : ses frères et sœurs, puis sa maman, qui est décédée peu de temps après son arrivée, ce qui fait que je n'ai quasiment aucun souvenir d'elle.

Un héros très discret

Ce qu’il a occulté surtout, c’est sa participation à la guerre d'Algérie. Il était un membre actif du FLN, de ce qu’on appelait la Fédération de France, et il a toujours été extrêmement discret là-dessus. Je pense qu’il ne voulait pas qu’on sache ce qu’il avait été amené à assumer comme actes. Son groupe était chargé de percevoir l’impôt révolutionnaire auprès de la communauté algérienne, et il a pris beaucoup de risques. Ce que j’en ai su, petit à petit, c’est surtout la famille ou les amis, ici et en Algérie, qui me l’ont raconté, peut-être pour que je n’oublie pas d’où je venais. Ma maman, qui venait d’une famille de petits notables locaux, n’avait que 16 ans à la fin de la guerre, mais elle avait aussi des convictions très fortes. Comme mon père, elle suivait l’actualité – c’est assez rare pour leur génération, mais ils savaient tous les deux assez bien lire et écrire en français. Elle, en plus, elle dévorait tout ce qui lui tombait sous la main, livres et journaux… Elle m’a transmis sa boulimie de lecture, d’ailleurs, pour ça je suis comme elle. 

Une jeune mariée au bidonville

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Nouredine Hagoug, archives. Nouredine et sa mère Fatima, en 1966 ou 67, à la plage à Marseille © Collection particulière Nouredine Hagoug, Atelier du Bruit.
Au bout du compte, c’est elle qui s’est le mieux adaptée à la France, mais au départ, ç’a été une vraie déchirure. Elle sortait à peine d’une enfance plutôt choyée, et elle s’est retrouvée dans un bidonville sans eau courante, dans une immense solitude. Et au début, comme mon père était un peu à l’ancienne, il l’enfermait quand il allait travailler. Elle m’a raconté qu’elle avait construit pour moi une espèce de hamac en hauteur, parce que sa hantise, c’était que les rats viennent me bouffer pendant mon sommeil. Sa première victoire, avec l’aide d’une religieuse du bidonville, sœur Georgina, c’est d’avoir obtenu un HLM. Elle voulait un vrai toit au-dessus de sa tête et celle de ses enfants. On s’est installé dans du dur en 1965, dans une cité qui s’appelait La Sauvagère.

Cercles concentriques

J’ai eu une enfance vraiment heureuse, avec notre famille autour, les cousins, les copains de la cité, l’école. C’était comme des cercles concentriques, qui donnaient un ensemble cohérent. Frères et sœur, on était très lié, très uni, et on l’est resté. On n’avait pas beaucoup de sous, on le sentait, mais il ne nous a jamais rien manqué de fondamental. La cité, en plus, ce n’était pas comme maintenant. On avait encore la campagne autour de nous, la drogue n’était pas apparue, et surtout, il n’y avait pas ce désespoir qu’on peut sentir aujourd’hui. On faisait des pique-niques improvisés dans les terrains derrière, en chapardant des victuailles chez l’épicier. L’été, on descendait à la mer à pied, tous en bande – le bus, c’était trop cher. Ça faisait une trotte de près d’une heure et demie, mais ça nous donnait l’impression d’un départ en vacances. Et le dimanche, quelquefois, on allait en famille à Gémenos, un village à une quarantaine de kilomètres de Marseille, entassés dans la voiture familiale. 

Contrat

L’idée fondamentale, c’était qu’il fallait qu’on soit très bon à l’école, performant, meilleur que les autres. Nos parents serinaient matin, midi et soir qu’ils se crevaient la peau pour qu’on grimpe l’échelle sociale, qu’on aille plus loin qu’ils n’avaient pu le faire. Entre eux et nous, il y avait ce contrat, implicite, mais très fort. Et on partait du principe que si on était bon élève, on ferait notre trou dans la vie – à l’époque, il n’y avait pas de raisons d’en douter. À la Sauvagère, on était des gosses d’origine algérienne, italienne, espagnole, ce qu’on veut, mais surtout des enfants d’immigrés. Juifs, musulmans ou cathos, on ne se posait pas de questions métaphysiques sur nos différences, la cité faisait ciment. Il y a eu des mots malheureux, mais rien de grave. La consigne qu’on avait reçue, d’ailleurs, c’était d’être très chatouilleux là-dessus, quitte à pocher l’œil du copain qui nous aurait dit "sale Arabe". Mais ces questions d’identité, on n’en faisait pas un drame. On avait des soucis d’adolescents : réussir à l’école, s’amuser avec les copains, courir les filles, voilà. Pour moi, la France, c’était le pays où je vivais et l’Algérie, celui de mes parents. Je prenais volontiers les deux.

Taper sur le dernier arrivé

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Portrait de Nouredine et de ses deux plus jeune fils, cliché pris dans l'appartement des Hagoug, boulevard de la Libération, dans le centre de Marseille © Collection particulière Nouredine Hagoug, Atelier du Bruit.
J’étais très fier de ce que j’étais, mais comme tous mes copains, je savais aussi que les cités et le centreville, c’était pas pareil. Quand on descendait en ville, d’ailleurs, la différence, on nous la faisait très bien sentir. À Marseille, on n’est pas stigmatisé parce qu’on est un immigré, puisque tout le monde l’est, ou à peu près, dès qu’on remonte un peu dans le temps. Mais le vrai secret de l’intégration locale, c’est que le consensus social se fait en tapant sur le dernier arrivé. C’est vrai partout, mais c’est plus prégnant ici.  En 1977, j’ai été admis en 2nde scientifique au Lycée Thiers, l’un des meilleurs de Marseille. Déjà, en 6e générale, j’avais été quasiment l’intellectuel du quartier, alors là... Je me retrouvais en terre étrangère à tout point de vue. Chez moi, on devait être 70% de gens d’origine maghrébine. Ici, sur 2 000 élèves, on se comptait sur les doigts d’une seule main. Ma différence, que je le veuille ou non, elle sautait au regard de l’autre. Et ce que je n’ai pas supporté, c’est que ce regard me disait : "Toi tu es un Arabe, mais..." En gros, puisque j’étais bon en classe et bien élevé, j’étais l’exception qui confirmait la règle. 

Le double mensonge

Le message implicite que j’entendais, et que j’ai assimilé, peut-être à tort, à celui de la société dans son ensemble, c’était qu’on m’autorisait à faire ma place ici, à condition que je renie tout ou partie de ce que j’étais. Et je ne voyais pas au nom de quoi j’aurais dû consentir à ce sacrifice. Avec le recul, je pense que c’est fondamental dans mon engagement. C’est aussi le moment où, en France, il est devenu clair qu’on était là pour rester. Et où, avec le début de la crise économique, les tensions sont apparues au grand jour. Parce qu’on n’était plus des gens de passage, venus construite des routes et des HLM et destinés à repartir, mais des membres de la communauté nationale. Ma génération avait grandi et ce qui s’apparentait à un double mensonge était devenu criant : le mensonge de nos parents, qui nous disaient toujours que notre pays, c’était l’Algérie, mais aussi celui de la France, qui n’avait pas cessé de nous regarder comme des immigrés –  on ne parlait même pas encore de deuxième ou troisième génération, ce terme ambigu, qui renvoie forcément à une altérité. 

Cousin éloigné

J’avais déjà compris que ma place n’était pas là-bas, que je n’étais qu’un cousin éloigné. Mais un de mes meilleurs souvenirs de ces années-là, c’est quand on a tué le mouton à Sidi Boular, parce que j’étais le premier de la famille à avoir eu le bac. L’Algérie, on n’a jamais cessé d’y aller. La hantise de mes parents, c’était que le lien se coupe. Quand on arrivait en voiture, pour les vacances, c’était un événement, au village ! D’autant plus que c’était quelquefois ma maman qui conduisait, et ça, à l’époque, c’était tout à fait exceptionnel : un vrai spectacle, qui faisait accourir tous les gamins. Aujourd’hui, l’Algérie, c’est ma deuxième patrie, un peu comme certains Juifs de la diaspora peuvent se sentir liés à Israël. Je constate avec plaisir que pour mes fils, sans qu’on ait jamais mis de pression particulière, le lien s’est maintenu, naturellement.

Ecouter Nouredine Hougag (2 min)

Nouredine Hagoug, profession de foi © Atelier du Bruit
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1981

Politiquement, sans me poser la question, j’étais dans le camp anticolonialiste, donc plus ou moins celui du "progrès", de la gauche. La première fois que j’ai voté, c’était en 1981. Il n’y avait pas beaucoup de Nouredine ou de Fatima inscrits sur les listes électorales, à l’époque, et je suis allé très fier mettre un bulletin Mitterrand dans l’urne. Quand je suis rentré à la maison, mon père m’a fait la gueule, ça m’a paru bizarre. Ma mère, par contre, était aux anges, elle a défilé le 10 mai – elle était déjà dans un groupe féministe, où, c’est peut-être un peu méchant de dire ça, elle était le bon cobaye, en tant que petite Algérienne mère de famille qui gagnait sa liberté. Sur le coup, mon père ne m’a rien dit, comme d’habitude, puis il a fini par sortir une vieille coupure de journal planquée quelque part : une déclaration de François Mitterrand disant que l’Algérie, c’était la France, de Dunkerque à Tamanrasset, et que face aux rebelles armés, la seule solution était la guerre. 

Un CRS du nom de Taillefer

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Partie d’échecs au café des Danaïdes avec Robert Tsalikian, président du club « l’échiquier marseillais », auquel Nouredine a adhéré dans les années 2000 © Collection particulière Nouredine Hagoug, Atelier du Bruit.
Quelques mois plus tôt, en octobre 80, à Marseille, un CRS du nom de Taillefer avait tué de sang-froid un jeune homme, Houari Ben Mohammed. Quand on l’a su, beaucoup de gens sont descendus en ville et j’étais parmi eux. Je me sentais fou de rage. Je ne pouvais pas supporter qu’il soit assassiné comme un chien et qu’on n’en parle plus. On est descendu sur la Canebière et on a commencé à casser des vitrines. Le maire Gaston Deferre est venu, il a parlé avec la famille et il s’est engagé à ce que justice soit faite. Ç’a été le début du mouvement associatif à Marseille et moi, je viens de ce terreau-là. Après 1981, il y a eu toute une vague d’autres crimes racistes ou sécuritaires, avec des enquêtes bâclées, des non-lieux sur des meurtres... C’était peut-être la volonté de mettre le nouveau pouvoir socialiste en difficulté. Ça signifiait en tout cas qu’en France, on pouvait assassiner quelqu’un presque impunément, du moment qu’il était bronzé et qu’on plaidait la légitime défense.

L’option Martin Luther King

Je me sentais à la fois meurtri et scandalisé. Pour employer des grands mots, je me suis dit que j’avais peut-être le devoir de lutter contre ça. Puisque ici, c’était mon pays, il n’était pas question que je subisse ce genre de discrimination, et encore moins que mes futurs enfants aient à les affronter. On n’allait pas continuer à se faire tirer comme des lapins et à raser les murs. Il y avait l’extrême droite qui commençait à remontrer le bout de son nez, des descentes policières musclées, et des jeunes, en face, qui étaient prêts à la violence. On sentait que c’était un piège dans lequel on voulait nous enfermer. C’est comme ça, même si ce sont des Lyonnais qui en ont pris l’initiative, que je me suis retrouvé en 1983 parmi les organisateurs de ce qu’on a appelé, à tort, "la marche des Beurs" : l’idée, c’était de traverser la France à pied pour gagner Paris. Vingt ans après la grande marche pour les droits civiques sur Washington, c’était une référence claire à Martin Luther King et à son choix de la non-violence, par opposition à l’option Malcolm X. Moi, j’étais un fan de Mohammed Ali et forcément, on faisait le parallèle entre notre situation et celle des Noirs aux États-Unis.

"Des Arabes,  y en a pas qu’à Marseille"

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Café des Danaïdes, lieu du club « l’échiquier marseillais », auquel Nouredine a adhéré dans les années 2000. On distingue quelques autres joueurs à l'extérieur du café © Collection particulière Nouredine Hagoug, Atelier du Bruit.
On est parti des quartiers Sud, de la cité de La Caillole. Parce que le port de Marseille, symboliquement, avait été la porte d’entrée en France pour beaucoup de nos parents. Au départ, on était une trentaine, puis le nombre a presque doublé. Moi, j’ai suivi ça dans l’enthousiasme. Je me disais : "Finalement, des Arabes, y en a pas qu’à Marseille !" On se rendait compte que c’était un phénomène de génération, qui concernait l’ensemble de la France. On l’avait intitulée "Marche pour l’égalité et contre le racisme". Le mot "beur", nous, à Marseille, on ne savait même pas ce que ça voulait dire. Ça venait des banlieues parisiennes et ç’a été récupéré par les journalistes, qui se sont mis à titrer sur "la marche des Beurs". Après, c’est resté, mais c’était loin d’être notre volonté à tous. Il y a eu finalement trois marches consécutives, en 83, 84 et 85. Mon engagement a été crescendo à travers elles et le militantisme a occupé de plus en plus de place dans ma vie. J’avais pris conscience que pour être considéré comme un citoyen comme un autre, il faudrait se battre. 

On n’est plus des immigrés

"On n’est plus des immigrés" , voilà ce qu’on voulait dire. En 1983, on n’a pas marché tout le temps, on a triché un peu. On a été chouchouté partout, les gens se mettaient en quatre. Je me rappelle d’un vieux harki, lors d’un petit pot en notre honneur, qui s’est mis à chialer et qui nous a dit : "Vous m’avez rendu la dignité." Mais petit à petit, chemin faisant, on a vu arriver des conseillers de tel ou tel ministre et des parlementaires, qui venaient faire leur tambouille sur notre dos. Des gens se mettaient à parler de subventions dans les coins, les médias étaient de plus en plus présents et j’ai pensé que tout ça commençait à dériver un petit peu, donc je me suis mis en retrait. J’ai participé quand même à la manifestation finale, à Paris. Par la suite, quand le PS a créé SOS Racisme, la récupération politique est devenue de plus en plus évidente. Le pouvoir socialiste a préféré réduire notre message à une condamnation du racisme, alors que nous, nous réclamions l’égalité entre les citoyens, basée sur ce qu’on n’appelait pas encore la reconnaissance de la diversité.

Associations

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Nouredine Hagoug, archives. Mariage religieux de Nouredine Hagoug et Nasséra Benmarnia, en 1987 © Collection particulière Nouredine Hagoug, Atelier du Bruit.
Avec tout ça, j’ai été un peu amené à sacrifier mes études. C’est aussi le moment où mes parents se sont séparés, et moi, en tant que fils aîné, j’ai essayé de soutenir ma mère. Du coup, j’ai dû arrêter la classe prépa, je me suis mis à travailler comme surveillant et j’ai donné des cours à droite à gauche. Le militantisme m’a amené à me déplacer beaucoup et à connaître le monde politique, local en particulier. J’ai rencontré Nasséra, mon épouse, en 1987, dans un Festival du cinéma arabe à Aix-en-Provence, et on s’est marié en 88, devant l’imam. Elle venait d’une famille d’Algériens installés à Nîmes, originaires aussi de l’Ouest, et elle était comme moi très impliquée dans le mouvement associatif. Entre nous, il y avait des affinités naturelles. On a fait notre vie ensemble parce qu’on partageait ces valeurs-là. On a eu quatre fils, et on a fondé deux associations qui fonctionnent depuis une dizaine d’années, le Conseil pour l’égalité des chances et l’Union des familles musulmanes. 

Droite, gauche

J’avais rompu avec la gauche à la fin de la première marche, parce que je m’étais senti trahi par le PS. Ma réflexion personnelle aidant, je me suis de plus en plus éloigné. "Qui n’est pas de gauche à 20 ans n’a pas de cœur, qui n’est pas de droite à 30 ans n’a pas de tête" , comme on dit. J’avais peut-être aussi envie de montrer qu’un Maghrébin n’est pas génétiquement programmé pour devenir l’électeur acquis de qui que ce soit. Quand la droite a pris clairement ses distances d’avec le FN, en 1994-95 à peu près, je me suis rapproché du RPR. J’ai été battu aux municipales, puis élu en 2001, dans les Quartiers Nord de Marseille sur la liste conduite par Gaudin. Mais depuis que Sarkozy est devenu président de l’UMP, j’ai pris beaucoup de champ, à cause de ses positions sur l’immigration –– je siège comme non inscrit et je ne me représenterai pas. Je ne sais pas si je suis de droite. J’ai des valeurs traditionnelles, je suis croyant sur le plan religieux, je crois aussi à la famille. Mais la politique, ce n’est pas une question religieuse, c’est un choix à un moment donné : on va vers ce qui vous semble le moins mauvais

Témoignage recueilli en octobre 2007 à Marseille

Production : Atelier du Bruit
Auteur (entretiens, récit de vie) : Irène Berelowitch.
Photos : Xavier Baudoin
Montage module sonore : Monica Fantini

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