Droit et patrimoine des migrations au cœur des tensions démocratiques
Pilier des politiques migratoires, le droit des étrangers ne cesse d’évoluer, suscitant en France et en Europe de nombreux débats où cohabitent incompréhensions et tensions. L’article de Jules Lepoutre, en avant-propos, explique les racines profondes de ce droit et ses évolutions, ancrées dans une histoire pluriséculaire, retraçant les relations entre la nation, l’État et l’« étranger ». Le dossier scientifique, issu d’une journée d’étude organisée par l’Institut Convergences Migrations en juin 2024, aborde cette thématique de manière inter-disciplinaire. Il met en lumière le double visage du droit : outil de protection des libertés fondamentales mais aussi instrument au service des politiques migratoires. Au fil des analyses, se dessine un droit de plus en plus complexe, tissé de normes multiples (nationales, européennes, internationales), de jurisprudences,de circulaires et de pratiques administratives. Ce labyrinthe juridique ouvre la voie à une forme d’opacité et d’arbitraire. Derrière les textes, la réalité de l’exclusion prend souvent le pas sur l’universalisme proclamé.
Le droit comme espace de luttes
En écho du dossier scientifique, des témoignages rappellent que le droit n’est pas figé : il est aussi un espace de luttes et de transformation sociale. Dans la rubrique « Champs libres », trois initiatives citoyennes témoignent d’une résistance concrète à l’exclusion des personnes migrantes. Le Réseau Euromed France mobilise les sociétés civiles autour d’une solidarité euro-méditerranéenne. Dans l’Est de Paris, la médiathèque James Baldwin, en lien avec la Maison des réfugiés, devient un véritable refuge social et culturel, tissant des liens d’entraide avec le quartier. En zone rurale, l’association Terre 2 Cultures raconte les tensions vécues dans son rôle de médiation entre droit, parcours de régularisation et réalités des réfugiés vécus aux confins de la région francilienne.
Réparer l’invisibilité dans les musées
Comment raconter l’histoire d’un pays sans ses migrations ? Trop souvent absents des musées, les immigrés et leurs descendants se sentent exclus d’un récit patrimonial qui ne les reconnaît pas. Cette invisibilité, certains musées et certains centres d’archives cherchent à la réparer. Grâce à de nouveaux outils - thésaurus adaptés pour combler les lacunes des vocabulaires officiels, souvent obsolètes, voire problématiques, dispositifs muséographiques innovants –, les musées amorcent une mutation symbolique et méthodologique. Le portfolio et l’article de synthèse présentent les premiers résultats d’un inventaire national piloté par le Musée national de l’histoire de l’immigration, dédié au « patrimoine des migrations humaines ». Ce chantier technique révèle aussi des enjeux politiques, quand réparer l’oubli des migrations dans les musées contribue à réduire leur marginalisation dans l’espace public. En revalorisant ces mémoires dans leurs collections, les institutions culturelles contribuent à renforcer cette mission d’hospitalité, de justice sociale et de citoyenneté, dans une société où les migrations sont trop souvent traitées comme une menace.
Exposer de nouveaux récits migratoires
Une exposition mobile consacrée aux migrations d’Asie du Sud-Est et de l’Est, produite par le Musée national de l’histoire de l’immigration, incarne cette nouvelle dynamique de co-construction. À Noyant-d’Allier, village auvergnat marqué par l’installation de rapatriés d’Indochine dans les années 1950, elle vient enrichir le temps d’une saison les collectes locales qui ont abouti à la création d’un espace muséal participatif. À l’échelle nationale, cette démarche collaborative s’étend aux grands musées nationaux. Le Musée national de l’histoire de l’immigration, le Mucem, le musée de l’Homme, le Louvre-Lens ont participé à une table ronde organisée par la Fédération des écomusées et des musées de société (FEMS) pour échanger sur leurs expériences autour d’expositions récentes sur les exils et les migrations, très diverses dans leur approche thématique et dans leur dispositif muséographique. Des expositions itinérantes, des médiations participatives et des récits partagés renouvellent la manière de documenter, d’exposer et de transmettre les migrations à un public plus large. À travers ces actions, les musées deviennent des lieux vivants et engagés, où se tissent des récits complexes et incarnés.