Champs libres : livres

Sarah Mazouz, Race

Paris, Anamosa, 2020, 96 p., 9 €

journaliste

Sarah Mazouz, docteur en sociologie et chargée de recherche au CNRS, signe un utile opuscule pour se retrouver dans le champ lexical des auteurs et militants qui font de la « race » une grille de lecture des rapports de domination au sein de la société française.

Bien évidemment, et c’est une ritournelle, la « race », ici, n’a rien de commun avec le racisme biologique « ordinaire ». La notion renvoie à un rapport social et à une forme singulière de retournement du stigmate – « le mot a donc changé d’usage et de camp ». Non content de désigner le racisme assumé, il permettrait d’aller plus loin en « explicitant et problématisant » les sédiments coloniaux et esclavagistes sur lesquels « une société construit du racial ».

Pour éviter les pièges de l’essentialisation, des concepts insistent sur les dynamiques et les modes de production des hiérarchies raciales. Ainsi, la racialisation désigne « la production de groupes soumis à l’assignation raciale ». La racisation (référence à Colette Guillaumin, pionnière de ces études) pointe le processus par lequel un groupe dominant définit un groupe dominé comme étant une race. Sarah Mazouz utilise « assignation racialisante ». Il suffit de vous demander où trouver un « bon couscous » ou de vous complimenter pour entrer dans ces logiques d’assignation. Petite anecdote mais gros effet : car il y aurait un « sens politique, social et historique de certaines situations ou de certaines catégorisations ». On ne traque pas seulement les faits graves de racisme et de discriminations, les violences physiques ou verbales, mais le lapsus, la question naïve, la petite blague et hop !, vous risquez de basculer dans le camp des dominants héritiers d’une longue et triste histoire.

Fort de cet appareil lexical, le lecteur est désormais armé pour comprendre que, dans une République – ou chez des individus – « abstraitement » égalitaire et universaliste, amnésique de son passé, qui croit être affranchie du racisme (« colorblindness »), la race reste « un rapport de pouvoir », continuant de produire des assignations identitaires ou raciales, des inégalités, des discriminations – à distinguer des rapports de pouvoir de genre ou de classe.

Y a-t-il du nouveau sous le ciel de la sociologie et de l’étude des rapports sociaux, à commencer par la question des « violences policières » ? Suffit-il d’être « blanc » pour être « dominant » et d’appartenir au groupe « auquel les processus de racialisation bénéficient » ? En quoi ce « rapport de race » peut être généralisé tant du point de vue des dominés – des victimes de racisme, de xénophobie et de discriminations bien réelles – que des dominants ? Qui dominent ? Où se situe le rapport d’exploitation et pour quel profit ? Quid des autres dynamiques et nouveautés sociales ? Faut-il réduire « nos » sociétés à leur passé colonial ou esclavagiste ? À certaines de ces questions, l’ouvrage fournit des bribes de réponses, qui satisferont les uns et moins d’autres.

Comme rien n’est simple dans ces théories et approches, exposées dans une langue où batifolent jargon universitaire et pompe militante, il faut découpler question raciale et couleur de peau : être racialisé renvoie à une « condition », à une « expérience sociale ». On peut ainsi être blanc sans être un Blanc, entendre un dominant, ou passer d’un statut de Blanc dominant à un statut de racialisé (cas des convertis). À ce compte, peut-on être noir, ou nord-africain, et ne pas être catégorisé comme tel, voir le refuser ? Même si, ici, ce serait les victimes elles-mêmes qui s’exprimeraient, via les claviers des universitaires.

Ceux qui contestent ces approches sont renvoyés au « point aveugle », non pas idéologique mais épistémologique, des « groupes majoritaires » sur « les savoirs minoritaires ». Et l’auteure de forger le concept de « transposition minoritaire » versus l’universalisme abstrait : plutôt que l’uniformisation d’individus abstraits, sans histoire et sans différences de traitement, elle propose de faire reposer « la création d’un socle politique et social […] sur la capacité que chacun.e aurait de se transposer dans l’expérience minoritaire à laquelle elle échappe. » Autrement dit, se mettre à la place de l’autre pour « prendre conscience des rapports de pouvoir » et des différences. Suffisant pour construire du commun ?