Champs libres : films

Bonne Mère

Film de Hafsia Herzi (France, 2020)

journaliste

Révélée comme comédienne talentueuse en 2007 par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le mulet, pour lequel elle obtient le César du meilleur espoir féminin en 2008 et le Prix d’interprétation Marcello Mastroianni à la Mostra de Venise, Hafsia Herzi est très tôt attirée par la réalisation et la mise en scène. Elle n’a pas 20 ans lorsqu’elle noircit les premiers feuillets de ce qui donnera naissance à Bonne Mère en 2020, sélectionné à Cannes dans la catégorie Un certain regard. Une année auparavant, elle passait derrière la caméra pour la première fois en signant Tu mérites un amour, sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes et Valois de la mise en scène à Angoulême, et qui racontait l’errance parisienne d’une femme éprise d’un mauvais garçon.

Dans Bonne Mère, Hafsia Herzi brosse le portrait de Nora (Halima Ben Ahmed), la cinquantaine, sorte de mère courage d’une surface humaine à toute épreuve, qui partage son temps entre son travail de femme de ménage à bord des avions et l’éducation de ses cinq enfants dont l’aîné, Ellyes (Mourad Tahar Boussaha), purge une peine de prison suite à un braquage qui a mal tourné. Elle est très proche également des quatre frères et sœurs : deux filles, dont l’une travaille et l’autre pas, et deux fils, dont l’un est bon élève quand l’autre est un glandeur qui se prend pour un héros.

Par ailleurs, Nora arrondit ses fins de mois en faisant la toilette, les courses et la cuisine de Viviane (Denise Giullo), une vieille dame impotente à laquelle elle apporte douceur et réconfort. Le personnage de Nora n’est pas sans rappeler le brillant portrait de Fatima co-écrit par Philippe Faucon et Baya Kasmi en 2015.

On retrouve sur le visage fatigué de Nora toute sa détermination à élever seule ses cinq enfants. En quinze ans, elle a su économiser pour refaire une dentition abîmée par les grossesses. Son désir ne pourra toutefois aboutir car, si l’argent est présent, il y a les émoluments de l’avocat pour sortir son aîné de prison…

Bonne Mère, comme l’indique son titre, désigne à la fois la basilique Notre-Dame de la Garde et son héroïne Nora, une veuve prête à tous les sacrifices pour faire libérer Ellyes et maintenir une forme d’harmonie au sein d’une fratrie où, certes, on s’aime, mais aussi on s’engueule, on crie, on s’insulte même. D’ailleurs Sabah (Sabrina Benhamed), la cadette, rêve avec ses copines de faire de « l’oseille » et se lance pour cela dans une entreprise en ligne de services sexuels.

Comme dans La Graine et le mulet, les dialogues sont travaillés de telle manière que les répliques se coupent et se chevauchent, donnant aux échanges verbaux un certain accent de vérité vraie.

Hafsia Herzi s’est beaucoup inspirée de sa propre histoire – disparition prématurée du père, sa mère femme de ménage – et rend un hommage appuyé à celle-ci et à toutes ces mères franco-maghrébines qui luttent contre la pauvreté dans ces cités nord de Marseille où se situe l’action de Bonne Mère. Elle a d’ailleurs tourné les intérieurs dans un appartement désaffecté de la tour où elle a vécu son enfance : « Cette cité des quartiers Nord, Les Oliviers, m’a toujours inspirée, je voulais immortaliser ces tours avant qu’elles ne soient détruites un jour, montrer les ambiances qui y règnent, faire entendre ces bruits… Pendant le tournage, on a posé des micros un peu partout, branchés même la nuit, et on a obtenu une banque de sons incroyables, dont des bruits de poules, de coqs, de chats, les animaux qui s’y trouvent sont comme la population : abandonnée… Visuellement, je tenais à capter la lumière simple, belle et unique de cet endroit… Entre la luminosité et les sons, on s’aperçoit que cette cité dégage aussi un réalisme doux. »

Et, de fait, Bonne Mère s’arc-boute sur une esthétique telle que le film génère de la beauté, malgré le trafic de drogue et les violences qui ont profondément modifié l’urbanisme et la vie de cette cité des Oliviers. Aujourd’hui, le quartier d’enfance d’Hafsia, comme elle le dit elle-même, est de plus en plus délabré et délaissé. Son jeune frère Mohamed a dû s’impliquer ferme pour permettre que le tournage puisse se dérouler sans conflit ou incident avec certains délinquants présents sur les lieux.

Le casting et la distribution des rôles constituent l’un des atouts fort du film, et c’est en rencontrant la propre fille d’Halima Benhamed qu’Hafsia Herzi a pu convaincre sa maman d’accepter le rôle de Nora, alors même qu’elle n’avait jamais vu une caméra de sa vie. Idem pour le reste de la distribution qui donne force et crédibilité à une direction d’acteurs dans laquelle la réalisatrice a excellé.