Champs libres : films

De bas étage

Film de Yacine Qnia (France, 2020)

journaliste

Géomètre-topographe de formation, Yacine Qnia a grandi en Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers où il a situé l’action de son premier long-métrage, De bas étage, dans lequel il fait montre d’une maîtrise étonnante de la part d’un jeune homme qui a découvert le cinéma dans les Maisons de jeunes de sa ville en participant à la fabrication de plusieurs films d’ateliers. Ses trois premiers courts-métrages (F430, Mohï et Fais croquer) ont trusté des prix à Angers Pantin, La Rochelle et Clermont-Ferrand, ainsi qu’à l’international : Milan, Kiev, Istanbul et IndieLisboa.

De bas étage a pris naissance dans l’entourage vécu de Yacine Qnia : « Je me suis inspiré d’une situation dans laquelle un ami s’est retrouvé il y a quelques années, explique le jeune réalisateur. Il vivait chez sa mère et entretenait une relation amoureuse de longue date. Un jour, la fille avec qui il était en couple est tombée enceinte, ils ont fait le choix de garder l’enfant, mais il n’avait pas les moyens de vivre en toute indépendance. Ils se sont installés chez sa mère en attendant, mais la situation a duré plus longtemps que prévu, ce qui a un peu détérioré leur relation. Leur histoire a fait écho en moi car je me suis retrouvé à un moment donné dans la même situation, sans l’urgence d’accueillir un enfant. L’impuissance à m’émanciper financièrement en assurant la charge de mon propre foyer m’a poussé à raconter cette histoire. »

Et cette histoire, c’est celle de Mehdi (étonnant Soufiane Guerrab), la trentaine, qui est un perceur de coffres de basse envergure. Avec ses complices, des petites frappes, il tente de s’en sortir, mais leurs cambriolages en zone industrielle ne rapportent plus autant qu’avant. Quant aux quelques alternatives professionnelles, elles sont loin de les séduire.

Mehdi a un petit garçon d’un an qui l’adore et vit séparé de Sarah (lumineuse Souheila Yacoub), la maman, qu’il tente de reconquérir. Yacine Qnia met en scène, comme dans ses courts-métrages, des personnages en butte à l’échec. C’est ce qu’il a côtoyé lui-même dans sa vie familiale ou amicale, à savoir des gens qui ont échoué dans ce qu’ils entreprenaient.

« Beaucoup d’entre eux, nous dit le réalisateur, ont vécu ces situations comme une honte. Pour moi, mettre en scène un personnage confronté à l’échec, c’est montrer qu’il a vécu quelque chose de fort qui non seulement n’a rien de honteux mais qui mérite de ne pas être oublié… C’est ma façon de rendre hommage à ces personnes. Mettre de la lumière sur leur échec est une manière de leur dire que leur histoire est intéressante et qu’elle constitue une porte d’entrée dans l’apprentissage de la vie. »

Pour Yassine Qnia, Mehdi est une sorte de professeur : par ses erreurs, il enseigne quelque chose et, pour lui, le cinéma, par ses récits et ses personnages, est une école de la vie.

Les parents de Sarah et de Mehdi sont bien dessinés par l’auteur De bas étage. Leur regard est difficile à affronter pour Mehdi. Il lui est insupportable d’avoir la sensation de les décevoir, d’où leur simplicité, leur bienveillance et leur impuissance face à la condition qui est la sienne.

De bas étage s’ouvre et se clôt sur un regard : celui d’un homme qui annonce d’emblée qu’il s’agit bien là d’une histoire d’amour, et Mehdi est un homme aussi amoureux qu’orgueilleux. Entre le début et la fin du film, il devra faire le tri entre son amour-propre et l’amour qu’il porte à Sarah. Mehdi, pris dans une sorte d’engrenage, semble avoir besoin de tout contrôler. Le fait que Sarah lui échappe le rend encore plus possessif. « À ce moment-là, il ne sait pas l’aimer, dit encore Yacine Qnia, elle devient juste la représentation de son échec, ce qui le pousse à vouloir la dominer davantage. L’antithèse de Mehdi, c’est l’ami M’barek et l’attention qu’il porte à son chien… Cet homme semble adouci par la vie parce qu’il a appris à lâcher prise. Je tenais beaucoup à cette scène clé où Mehdi le rencontre alors qu’il promène son Braque de Weimar. Elle donne à voir, je l’espère, une façon d’appréhender la vie autre que celle de Mehdi. »

Certes, si Mehdi n’est pas un truand dans l’âme, il semble maîtriser l’art de percer des coffres-forts. Ces séquences sont filmées presque comme un documentaire. La technicité et le sang-froid avec lesquels il s’applique montrent bien qu’il pouvait prétendre à mieux que ce que la vie lui a offert.

De bas étage est un bon film, à la fois bien raconté et bien mis en scène, dans lequel le choix des acteurs et leur direction sont très pertinents. À aucun moment le cinéaste ne se retranche derrière le spectaculaire, il a choisi la sobriété, en laissant, parfois, affleurer l’émotion.