Champs libres : entretien

« De mon côté, je vise le réalisme »

Entretien avec Julien Silloray, réalisateur

Né à Nantes, il a passé son enfance en Guadeloupe. Après des études de droit et sciences politiques, il a été directeur de production puis assistant de production sur plusieurs fictions, avant de réaliser quatre court-métrages en Guadeloupe.

Hommes & Migrations : Julien Silloray, votre dernier court-métrage, Mortenol a reçu de nombreux prix dont le Grand Prix de la 15e édition du Cinemartinique Festival, organisé par Steve Zebina, pouvez-vous nous parler de votre arrivée dans le monde du cinéma ?

Julien Silloray : J'ai le sentiment d'avoir découvert le cinéma en France, en m'installant dans ce pays pour y faire mes études après avoir obtenu mon baccalauréat en Guadeloupe. Les études m'intéressaient peu, je passais beaucoup de temps dans les salles obscures à découvrir des films du monde entier. Une fois mon diplôme en poche, j'ai fait un stage dans la production. Je voulais produire des réalisateurs antillais puis je me suis mis à écrire mes propres projets, que j'ai réussi à financer.

H&M : Quel rapport personnel entretenez-vous avec la Guadeloupe ?

J. S. : Je suis né en France mais j'ai grandi en Guadeloupe jusqu'à l'âge 18 ans. Aujourd'hui, j'écris et je réalise tous mes projets en Guadeloupe, qui est pour le moment le seul endroit où j'ai le désir de faire du cinéma.

H&M : Dans vos courts, la Guadeloupe a une place prépondérante et vous faites aussi une large place au créole, c’est assez rare dans la production antillaise d’aujourd’hui me semble-il, pourquoi ?

J. S. : Je trouve au contraire que le créole est de plus en plus présent dans les productions locales depuis quelques années. Mais dans ce pays culturellement dominé où le créole est encore méprisé, quelques réalisateurs ont pensé qu'il fallait interpréter leurs dialogues en français pour que leur film soit « de qualité » et exportable en dehors des frontières locales. Je ne partage pas ce point de vue. Il me semble évident qu'une langue locale n'altère en rien la qualité d'un film (qui se joue au scénario et à la mise en scène) et n'empêche pas une histoire d'être universelle. De mon côté, je vise le réalisme. Je tourne donc en créole parce que c'est la langue maternelle de mes acteurs, celle qu'ils utilisent dans leur quotidien.

H&M : Dans vos films, la plupart des comédiens sont non-professionnels, est-ce un choix ? Je pense à Pierre Valcy, dans Féfé Limbé, qui tient ce rôle magnifique de Féfé qui vit son premier chagrin d'amour à 65 ans, ou encore à Chris Baltimore qui interprète Dwayne, 11 ans, qui veut venger son grand frère, dans Mortenol. Comment avez-vous découvert ces personnalités et comment avez-vous travaillé avec eux ?

J. S. : Travailler avec des acteurs non-professionnels a d'abord été une contrainte. Je ne trouvais pas d'acteurs professionnels correspondant aux rôles que j'écrivais parce qu'il y a très peu d'acteurs en Guadeloupe. J'ai ensuite adopté cette contrainte pour tourner uniquement avec des non-professionnels : c'est devenu mon style, ce qui nourrit mon cinéma. Mes acteurs sont des gens que je rencontre au hasard de ma vie ou en casting, et je travaille principalement en improvisation avec eux lors du tournage.

H&M : Mortenol est le nom d’un quartier dit « populaire » à Pointe-à-Pitre, pourquoi ce choix, alors qu’il évoque aussi une figure noire majeure de l’histoire de La Guadeloupe au XIXe siècle ?

J. S. : Mortenol est une cité très connue en Guadeloupe. Elle est le symbole du quartier populaire construit sur le modèle des grands ensembles, avec toutes les représentations sociales qui y sont accolées. Mon film joue avec le genre et les clichés, j'ai donc choisi ce quartier – que je trouve par ailleurs très graphique – comme une synecdoque.

H&M : Avec Mortenol, vous flirtez avec le cinéma documentaire. Les questions sociales et identitaires sont au cœur de vos films. Diriez-vous que vous avez souhaité aborder l’envers du décor de carte postale et casser les représentations exotisantes des territoires antillais ?

J. S. : Mon intention première quand je fais un film n'est pas de casser les clichés. Je veux d'abord raconter une histoire que je trouve belle, en espérant toucher les spectateurs. Mes films s'éloignent peut-être des représentations exotisantes parce que le doudouisme ne m'intéresse pas. Mais je ne peux pas être sûr que je n'utiliserai jamais de cliché dans mes récits : ceux-ci sont des moteurs dramaturgiques forts, qui peuvent aussi être justes et révéler une part de vérité des sociétés antillaises.

H&M : Quels sont les réalisateurs antillais dont le travail vous a marqué ?

J. S. : Comme beaucoup de gens, je considère que Rue Cases-Nègres d'Euzhan Palcy est le grand classique du cinéma antillais. Le travail de cette réalisatrice m'impressionne.

H&M : Pouvez-vous citer 3 films qui vous ont marqué et nous dire pourquoi en quelques mots ?

J. S. : Gente de bien de Franco Lolli, The songs my brothers taught me et The Rider de Chloé Zhao. Un réalisateur colombien et une cinéaste sino-américaine, qui tournent des films magnifiques avec des acteurs non-professionnels en s'inspirant de leur propre vie et de celle de leurs acteurs, qu'ils remettent en scène. C'est le genre de films qui me fait rêver et me donne envie de faire du cinéma.

coordinatrice du pôle multimédia, Médiathèque, Musée national de l'histoire de l'immigration