Chronique cinéma

It's a free world

Film anglais de Ken Loach

L’Angleterre n’est pas la terre promise imaginée par beaucoup de candidats à l’immigration. Le travail s’y fait rare et disputé et le libéralisme économique et politique n’est pas garant de la liberté et de l’épanouissement dans le respect des “droits élémentaires de la personne humaine”. Chacun essaie néanmoins de tirer son épingle d’un jeu à hauts risques. Il faut souvent se battre pour sauver son job ou sa peau, préserver son territoire, accroître son profit. C’est dans ce contexte qu’Angie se débrouille, et comme la vie ne lui a pas fait de cadeaux, elle est prête à tout pour en sortir. Angie n’est pas un ange mais une solide et séduisante jeune femme blonde, bottée, casquée, motorisée et d’une infatigable énergie (Kierston Wareing, élève des formations Lee Strasberg, fait là une composition fascinante, qui suscite d’adhésion par-delà les comportements antipathiques, odieusement crâneurs ou monstrueusement égoïstes). Sa situation actuelle n’est pas brillante. Elle vient d’être licenciée sans motif de la société d’intérim où elle était chargée de l’embauche de travailleurs en provenance des pays de l’Est (Polonais, Ukrainiens...), disqualifiés et corvéables. Les nouveaux parents pauvres de l’Europe. Son fils Jamie (Joe Siffleet), qu’elle élève maladroitement et qu’elle a confié à ses parents retraités, accumule les gaffes dans sa scolarité et les actes d’incivilité, sans doute pour manifester contre l’absence d’un modèle parental conforme aux normes. Signalons l’excellent Colin Coughin, docker de la quatrième génération, en vénérable gardien d’une morale d’un autre temps, plus porteur d’espoir que de résignation. Voilà donc Angie sans emploi, ni économies, ni études, ni véritable formation...et prête à rebondir. Elle et sa copine et colocataire Rose (Juliet Elis), moins active sur le terrain mais plus experte (et prudente) en formalités, vont monter leur propre entreprise : “ANGIE & ROSE, Recrutement”. Un logo optimiste sur fond d’arc-en-ciel. Mais la concurrence est rude et le milieu pourri. Le business de survie devient carrément illicite avec ses cohortes de sans-papiers, clandestins iraniens, irakiens, kurdes, afghans...qui ont pris le relais des Européens de l’Est et sont des proies encore plus faciles pour toutes les mafias. Les choses vont très mal tourner, poussant Angie à la fuite en avant malgré les avertissements, les menaces, les persécutions, les coups. Elle abandonnera même une liaison sentimentale qui aurait pu être sa planche de salut, conforme à ses rêves de jeune fille romantique qui accrochait un poster de Marilyn Monroe au mur de sa chambre. La séquence Karol (Leslaw Zurek), le beau Polonais décidé à tout abandonner de ce faux pays de cocagne pour retrouver l’innocence du pays natal et le goût des cornichons, ajoute une nuance délicate à la touche Ken Loach. Le film n’est pas un acte d’accusation un peu manichéen, ce à quoi l’auteur a parfois cédé dans le passé. Ken Loach et son scénariste Paul Laverty ne condamnent pas leurs personnages. Angie est un mélange désordonné d’égoïsme et de générosité. C’est le système qui impose ses règles implacables et monstrueuses : exploitation de l’homme par l’homme, et, pire, par la femme. Plus une argumentation est nuancée, plus elle a des chances de convaincre, et plus la fatalité tombera comme un couperet à la fin du film.