Chronique cinéma

La Lutte des classes

Film de Michel Leclerc (France, 2019)

[Texte intégral]

Journaliste

À 34 ans, Leïla Bekhti occupe désormais le sommet de la vague des comédiens français. Après avoir révélé sa fraîcheur et un talent précoce dans Tout ce qui brille il y a quelques années, au côté de son amie Géraldine Nakkache qu’elle a retrouvée dans son nouveau film en novembre dernier, Leïla Bekhti enchaîne film sur film avec un succès public qui ne se dément pas (voir Le Grand Bain de Gilles Lellouche où elle ne cesse d’éructer sur une chaise roulante et qui a drainé 5 millions de spectateurs).

Cette fois, elle illumine de son charme et de sa verve le dernier opus de Michel Leclerc.

La Lutte des classes, où le conflit est circonscrit non pas aux catégories sociales qui renverraient à la Russie d’octobre 1917, mais à l’espace scolaire et à l’école. Dans un entretien à l’hebdomadaire Elle, Leïla Bekhti dit son admiration au réalisateur qui fonctionne en duo à l’écriture avec sa compagne Baya Kasmi :"J’avais adoré Le Nom des gens et j’ai retrouvé dans La Lutte des classes la particularité de son cinéma. Avec son humanité, son intelligence et son sens unique de la comédie, il arrive à traiter avec humour des sujets de sociétés forts". Leïla ajoute : "J’aime aussi qu’il n’assène pas de morale, qu’il ne prenne pas le spectateur en otage. Il ne juge pas, il ne cherche pas à stigmatiser, mais il soulève une question que bien des parents peuvent se poser : école publique ou école privée ? on veut évidemment tous le meilleur pour notre enfant ! Michel Leclerc n’aime ni l’intolérance ni les certitudes, il ouvre le débat. Son film parle aussi de laïcité, de harcèlement scolaire, du couple… La Lutte des classes est une comédie romantique politique !"

On ne peut mieux définir ce film qui met en scène un couple mixte. À savoir, Sofia, d’origine maghrébine et brillante avocate issue des quartiers, et Paul (Edouard Baer, remarquable), sorte d’anar attardé et batteur punk-rock, dénué de toute ambition sociale et professionnelle. Vivant en concubinage, ils ont un fils de 10 ans, Corentin, qui va être la clef de voûte de l’intrigue et au cœur du sujet de l’école. Au début du film, le trio déménage vers une petite maison de banlieue, en l’occurrence Bagnolet, quartier d’origine de Sofia, et où Corentin est inscrit en CM2 dans une école publique bientôt désertée par les "blancs" et où il se sent marginalisé par les autres élèves tous issus de la diversité. Dès lors, Sofia et Paul vont se trouver pris en étau entre leurs valeurs républicaines et leurs inquiétudes parentales. Et des fissures vont se faire jour au sein d’un couple pourtant aimant, sans compter les états d’âme du jeune Corentin en butte aux moqueries de ses camarades de classe, tous plus "bronzés" que lui… La question des "écoles ghettos" est ainsi abordée avec pertinence par Michel Leclerc et Baya Kasmi, étonnante dans un rôle d’institutrice quelque peu déjantée.

Pour le réalisateur qui signe ici un film dans l’air du temps, "le principe de l’école publique, c’est la mixité sociale, le brassage, a fortiori dans une ville comme Bagnolet. Avec Baya Kasmi, on s’est aperçu que le fossé se creuse entre les “deux écoles” : l’école des “riches” et l’école des “pauvres”… Une des phrases que j’aime dans les dialogues, c’est quand Paul dit : “Aujourd’hui, blanc n’est plus une couleur de peau, c’est une classe sociale."

La Lutte des classes est, comme on l’entend plus haut, un film pertinent sur la question scolaire en France, sauf qu’elle est traitée ici avec distance et humour à travers une distribution et une direction d’acteurs remarquables (mention particulière à Ramzy Bedia en directeur d’école), comme c’était déjà le cas dans le précédent film de Michel Leclerc, Le Nom des gens.