Chronique musiques

Le Maroc transcende ses traditions

Le 10 mars 2021 à Lyon, l’Académie Charles Cros décernait ses Coups de cœur Musiques du Monde au Musée des Confluences. La section Mémoire vivante de ce prix mettait notamment à l’honneur l’anthologie Rrways. Voyage dans l’univers des poètes chanteurs itinérants amazighes, coffret de dix CD réalisé par Brahim El Mazned et publié par Atlas Azawan & Anya.

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Cet ouvrage unique en son genre rassemble une sélection d’une centaine de chansons enregistrées en 2019 par une cinquantaine d’interprètes créateurs, accompagnés par une trentaine de musiciens aguerris en l’art populaire des Rrways. Ce genre de poésie chantée, musicale et chorégraphique est spécifique aux Chleuhs, population berbère locutrice du tachelhit établie dans la région du Souss, au sud-ouest du Maroc. Située entre le Haut Atlas et l’Anti-Atlas, cette région au nord de laquelle se situe Agadir est riche de son agriculture  où brille l’arganier endémique à l’huile incomparable  et de son littoral atlantique, poissonneux et touristique. Elle est aussi connue comme terre d’émigration, vers les grandes villes du royaume comme vers l’Europe. La France, la Belgique, les Pays Bas ou l’Allemagne accueillent d’importantes communautés originaires du Souss, où l’on compte environ 3 millions de Chleuhs, le double résidant à l’extérieur.

Rrways & Tarrwaysin

Dès la fin du XIXe siècle apparaissent des écrits de voyageurs évoquant l’art consommé des troupes itinérantes de Rrways qui parcourent leur terre d’origine. « Dans ces régions où les hommes vivent au rythme de la nature, cultivent des terres censées n’appartenir qu’à Dieu, et demandent pardon à la terre lorsqu’ils la dessaisissent de ses céréales mûries, la musique ne saurait se limiter à une simple production sonore séparée de toute contrainte, écrit Miriam Rovsing Olsen[1]. Loin d’être neutre, elle agit sur la nature et sur les hommes, provoque vents et tempêtes, insuffle le souffle divin aux cultures qui meurent ou qui risquent de mourir, et à la nature qui se dessèche dans un milieu où l’une des préoccupations essentielles des habitants est la bonne croissance des céréales et donc la pluie en temps et quantité nécessaires. »

Les troupes sont composées d’hommes et de femmes. Chez les premiers, on distingue les Rrways (pluriel de Rrays, littéralement les maîtres), chefs d’orchestre qui composent et chantent en solistes, des Iderraben, qui jouent des instruments et dansent. Les secondes, Tarrwaysin, s’illustrent essentiellement comme danseuses et chanteuses, dont certaines déploient de très fortes personnalités. « Les Rrways voyagent de village en village, de tribu en tribu, tradition appelée “amuddu”, nous apprend le copieux livret de l’anthologie. Ils séjournent longuement chez les chefs et les caïds des kasbahs, amateurs de cette musique et généreux bienfaiteurs des artistes. » Brahim El Mazned précise : « Combinaison de danses, de musiques non écrites et de chants profanes ou religieux, portés par des poèmes d’une extraordinaire diversité et d’une rare qualité, ce style musical a traversé les époques, accompagnant les Amazighes dans leurs migrations vers les villes comme Casablanca et Marrakech et plus loin encore, vers l’Europe […]. Leurs chants font la part belle aux sujets intemporels, tels l’amour, la beauté de la nature ou le respect de Dieu, mais aussi aux préoccupations de l’époque, parmi lesquelles la volonté d’indépendance, les bouleversements sociaux, la douleur de l’émigré éloigné de sa terre natale ou encore les nouvelles aspirations de la jeunesse. »

Les premiers enregistrements de la musique des Rrways sont réalisés au début du XXe siècle, notamment par des maisons de disques françaises. Ceux qui figurent dans le fonds sonore des Archives de la parole, constitué à partir de 1911, ont vu le jour grâce à une dotation d’Émile Pathé, qui a fourni le matériel nécessaire pour effectuer des enregistrements sur le terrain, puis pour les graver sur disque. Lhaj Belaïd, né vers 1873 à Anou près de Tiznit et disparu en 1945, demeure encore aujourd’hui la figure tutélaire de l’art des Rrways, le « tirruysa ». Sa maîtrise de la rime, de la métaphore et de l’« amarg »  cette nostalgie poétique apparentée au spleen, à la saudade, voire au blues  faisait, dit-on, vibrer les hommes, pleurer les femmes, s’évanouir les plus sensibles…

Figures tutélaires

Lhaj Belaïd est une telle icône populaire que l’on peut encore voir son portrait côtoyer celui du roi dans des maisons du Souss. Son œuvre et son exemple continuent d’inspirer les musiciens contemporains, y compris parmi les jeunes générations, qui chantent ses poèmes et modernisent sa musique. Abderrahmane Habou, musicien et fondateur du groupe Imghrane, fondé en 1991, en témoigne : « Nous avons hérité la musique de nos parents et de notre entourage. C’est mon père qui m’a parlé pour la première fois de Lhaj Belaïd, en me donnant des conseils à travers ses paroles. Lorsque nous avons été invités à aller jouer en Chine, par exemple, il a prononcé ces mots tirés d’un texte chanté par le grand poète : “Merci pour ceux qui nous ont envoyés visiter des pays que nous n’avons jamais vus.” Dans l’éducation amazighe, on utilise les paroles des grands maîtres comme conseils pour la jeunesse. À sa disparition, Lhaj Belaïd a laissé des enregistrements sur 78 tours. Certaines de ses chansons parlent de ses rencontres avec de grands musiciens, comme Mohamed Abdelwahab, qu’il a côtoyé à Paris. Avec mes frères, nous avons chanté beaucoup de ses chansons. À Tiznit, après la sortie de l’école, je rentrais poser mon sac à la maison et je partais sur la place écouter la “harka” (troupe) de son fils, interprétant les chansons de son père sur le “ribab” qu’il lui avait transmis. J’étais un élève assidu, toujours au premier rang. Il racontait la vie de son père et chantait ses chansons, dont certaines n’ont jamais été enregistrées. »

Contrairement à la tradition arabe au Maroc, où les musiques arabo-andalouses ou de confréries se jouent au salon de musique, l’art des Rrways est offert en spectacle sur les places, au milieu de la foule. Ainsi, la place Jemaa el-Fna, cœur vibrant de Marrakech, est-elle considérée comme « le temple des Rrways », comme on peut le lire dans le livret de l’anthologie : « Depuis longtemps, les Rrways y trouvent refuge et s’y produisent avec leurs disciples. Parmi les figures emblématiques de la place Jemaa el-Fna, on peut citer Moulay Ali ou Lahoucine Amourak. Mais celui qui a laissé la plus forte empreinte de ses passages au milieu du XXe siècle est, sans conteste, Mohamed Oumourak, père spirituel de toute une génération de Rrways. Très respecté, il était tenu pour “Lamine”, le représentant de la place. […] Après lui, de nombreux autres artistes, dont Lhaj Ahmed Amentag, feront de cette place leur scène favorite et y glaneront leurs premiers succès publics. » Les noms d’une douzaine de grands maîtres aujourd’hui disparus, comme ceux que l’on vient de citer et quelques vedettes du siècle dernier, sont évoqués avec respect dans cette anthologie, mais le choix a été fait de publier les enregistrements d’artistes vivants, réalisés tout spécialement pour le coffret, comme pour l’Anthologie de l’Aïta[2]. C’est donc à la célébration d’une tradition vivante que nous sommes conviés.

Transmission

Traditionnellement, l’art des Rrways se transmet de maître à disciple. Même si les enregistrements  disques, cassettes, vidéos  représentent aujourd’hui un vecteur important de connaissance, c’est avant tout par la pratique et dans l’oralité que le ou la jeune artiste parvient à la maîtrise. La plupart des Rrways et Tarrwaysin présentés dans l’anthologie ont débuté dans la musique dès la prime adolescence. L’un suit son frère aîné, l’autre tient à concrétiser les aspirations d’une famille mélomane. C’est le cas de Fatima Tihihit Mzin, aujourd’hui star internationale, également actrice de cinéma et de télévision. Dès l’enfance, son père, friand de cassettes qu’il faisait écouter à toute la maisonnée, initie son oreille. Constatant les dispositions particulières de la jeune Fatima, sa famille l’adresse aux bons soins d’un professeur de chant. Elle va débuter comme chanteuse et danseuse aux côtés de feu Haj Mohamed Demsiri, chanteur professionnel de grand renom. Et le jour où son maître lui demande de l’accompagner dans une émission de télévision, elle fait preuve des talents vocaux et chorégraphiques qui lui vaudront une première et prometteuse réputation. À la disparition de son maître en 1986, Fatima Tihihit Mzin forme son propre groupe et entreprend une carrière sous son nom. Son nouveau style, plus personnel, est en rupture avec celui qu’elle pratiquait avec son maître. Elle change sa façon de chanter, de s’habiller, et crée de nouvelles formes de danse.

Dans d’autres cas, l’engagement de l’artiste en herbe avec une troupe itinérante revient à se trouver une famille de substitution, un maître protecteur. Orphelin de père, Aârab Atigui, devenu aujourd’hui l’une des plus grandes figures des Rrways, a suivi cette voie soulignée dans le livret de l’anthologie : « Au siècle dernier, la relation maître-disciples est régie non par un contrat juridique mais par un engagement moral. Le jeune disciple est placé sous la protection tutélaire du maître. Le premier, généralement mineur, doit vénération et obéissance au second qui lui garantit en échange protection et assistance. » Autre figure emblématique de la scène contemporaine, Fatima Tabaamrant a trouvé à l’écoute des chants des Tarrwaysin une consolation dans son enfance malheureuse. « J’ai commencé à composer des poèmes alors que je n’avais pas 14 ans, dit-elle. Mon premier poème parle de la vie d’un orphelin de mère. Moi-même j’étais orpheline. J’ai grandi seule sans ma mère. Dans les campagnes du Sud marocain, une fille qui veut entrer dans le milieu artistique musical rencontre beaucoup d’obstacles. Pour moi, cette pratique de la musique était une passion et j’ai dû sacrifier ma vie de famille durant sept ans, parce que mes frères n’acceptaient pas que je m’intègre dans ce milieu en tant que chanteuse. »

La voix des femmes et des Imazighen

Fatima Tabaamrant est une étoile au firmament de l’art poétique amazigh. Par ses chansons en « awal amazigh », la langue noble de tous les Imazighen (Berbères), elle galvanise la culture plurimillénaire des habitants de l’Afrique du Nord, des Canaries et du Sahara. « Pourtant, sachez-le bien : je ne suis jamais allée à l’école ! » lance-t-elle en éclatant de rire, avant de prononcer les vers d’un poème inédit : « J’ai trouvé des ardoises écrites. Je ne connais pas les lettres. Mais je sais les lire. » À la détresse d’avoir perdu sa mère à 3 ans s’ajoute celle des mauvais traitements de la seconde femme de son père. Mariée de force à 17 ans, elle s’enfuit au bout d’un mois. Deux ans plus tard, elle parvient à s’extraire de sa pesante famille grâce à la solidarité de femmes amies. La cause des femmes va devenir un thème central de son répertoire. « J’ai vécu à la campagne, où l’on empêche les filles d’aller à l’école pour les orienter vers des travaux pénibles : faire le ménage, aller chercher le bois, cultiver, moissonner… Si je consacre mes poèmes à la femme, c’est parce qu’elle est le cœur et l’âme de la société. Or la société est comme un corps : si son cœur et son âme vont bien, le corps entier va bien. »

La carrière professionnelle de Fatima Chahou, de son vrai nom, issue de la tribu des Aït Baamran, commence en 1983 comme danseuse dans la troupe du Rrays Jamaâ Hamidi. La danse ne lui plaît pas et elle rejoint Mohamed Belfkhikh, un Rrays réputé avec qui elle chante ses propres chansons. Son premier album paraît en 1985 mais elle ne forme sa troupe que six ans plus tard. En 1994, elle illumine la scène de l’Opéra Garnier à Paris. Dès lors, sa carrière internationale ne cesse de se développer. L’engouement prodigieux suscité par Fatima Tabaamrant vient de sa capacité à créer une poésie en résonance avec le monde contemporain comme avec l’art ancien des Rrways. Politiquement engagée, la chanteuse l’est surtout pour la cause amazighe. « Être artiste est une grande responsabilité, notre devoir étant de transmettre. J’essaye de montrer combien la culture amazighe est forte et essentielle pour les générations à venir. Pour moi, il est important de montrer la voie au peuple amazigh pour qu’il se retrouve. Mes chansons sont habitées par deux ou trois thèmes. Je parle d’abord de ma mère, celle qui m’a mise au monde, et ma mère amazighe, c’est-à-dire ma culture. J’ai aussi le souci de m’adresser à l’homme amazigh, pour l’informer, le sensibiliser, le cultiver, l’instruire de choses qu’il ne connaît pas, notamment des événements constitutifs de l’Histoire du peuple amazigh, qui ont eu lieu avant Jésus-Christ. »

Bab L’Bluz

Lors de la remise des Coups de cœur Musiques du Monde de l’Académie Charles Cros, Brahim El Mazned, étant dans l’incapacité de faire le voyage pour cause de pandémie, a confié à Yousra Mansour, chanteuse et musicienne marocaine qui réside à Lyon, le soin de le représenter au Musée des Confluences. Cette jeune artiste incarne la quintessence créative de la nouvelle génération marocaine. Son groupe Bab L’Bluz a inventé un style original, à la lisière du rock, totalement imprégné de traditions musicales marocaines. Leur premier album, Nayda, publié sur le label Real World de Peter Gabriel, est une pépite dans la production de musiques du monde de l’année 2020. Pour elle, le travail de Brahim El Mazned en faveur de toute la communauté des musiques traditionnelles marocaines est exemplaire. « Après avoir réussi à installer durablement depuis 2004 à Agadir le festival Timitar, l’une des plus importantes manifestations consacrées aux musiques amazighes et aux musiques du monde[3], il a fondé à Casablanca un événement annuel fédérateur, Visa For Music, festival et plateforme qui favorise les opportunités de rencontres et contribue à donner la visibilité et la place qu’ils méritent aux artistes d’Afrique et du Moyen-Orient, explique-t-elle. Ce qui me touche dans ce travail sur l’art des Rrways, c’est que ce patrimoine, transmis oralement de maître à disciple, n’est plus seulement un patrimoine immatériel, mais une matière que l’on peut désormais préserver et protéger. Beaucoup d’informations se perdent avec le temps, la musique se développe et évolue en permanence. Mais le fait de laisser une empreinte comme cette anthologie pourra servir de référence quand, d’ici deux ou trois cents ans, ces musiques auront évolué ou se seront perdues. Elle permettra de retourner aux origines pour comprendre ce qu’était cette musique avant. »

Ayant grandie en écoutant toutes sortes de musiques, surtout du rock, dans une famille où l’on aimait Janis Joplin, Jimi Hendrix et la pop music, Yoursa a été bercée par la aïta marocaine, très populaire à Doukkala, sa ville d’origine. Dans la musique des Rrways, elle apprécie l’authenticité, l’élégance des danses, la poétique de l’« amarg ». Elle est sensible à la présence dans les orchestres des instruments emblématiques de la musique gnaoua, le hajhouj, le guembri, qu’elle connaît bien parce qu’ils lui ont servi à fabriquer le son particulier de son groupe. Comme les chansons des Rrways, la musique de Bab L’Bluz est construite à partir de l’échelle pentatonique (à cinq degrés). Pilier de la musique amazighe, cette organisation de la variation mélodique régit la plupart des musiques traditionnelles d’Afrique, mais également de l’Asie orientale. Quant au ribab, l’instrument roi des Rrways, elle apprend à en jouer. Cette petite vièle monocorde est faite à partir de bois d’amandier. Sa caisse de résonance est recouverte d’une peau de chèvre très tendue, ce qui la rend particulièrement sonore. L’unique corde et l’archet sont faits en crin de cheval. La particularité du ribab est que son unique corde est tendue parallèlement sur le côté du manche, lequel sert d’appui au pouce pendant que les autres doigts jouent la mélodie. Les maîtres traditionnels aiment à décorer leurs ribabs de plaquettes d’argent et de pierres aux couleurs vives.

La musique de Bab L’Bluz s’inscrit dans la lignée de la musique gnaoua plutôt que dans celle des Rrways. Mais son originalité, qui capte les publics d’une nouvelle génération nourrie de toutes les musiques aujourd’hui accessibles sur Internet, tient d’une démarche originale de création à partir du patrimoine traditionnel, dont elle est le prolongement. La nayda, nouvelle scène marocaine prolifique des années 2000, a vu éclore dans le pays de nombreux groupes de rock, de rap et autres fusions. En s’appuyant sur cette dynamique, Bab L’Bluz défriche d’autres modes de création. « La jeunesse marocaine, qui a bénéficié de cette ouverture sur l’extérieur, était assoiffée de musiques différentes des répertoires habituellement diffusés au Maroc, explique Yousra Mansour. Grâce à la première vague de la connexion Internet, notre génération a eu le privilège d’avoir accès d’un seul coup à énormément d’informations et de musiques : R’n’B, soul, hip-hop, rock métal, etc. Toute cette vague, liée à la scène initiée par le festival “l’Boulevard” au début des années 2000, a contribué à constituer notre identité de jeunes marocains. Mais il me semblait nécessaire de retrouver nos origines. Quelque chose était enfoui en moi qu’il me fallait aller chercher […]. J’ai pu aborder la culture du Maroc dans sa richesse et sa diversité, écouter la musique du Sud marocain, les genres hassani, gnaoua comme la musique des Rways de la région du Souss, ou la musique reggada similaire à son équivalent algérien qui a donné le raï, en plus de la aïta. Nourrie de tout cela, je ne pouvais que créer une musique qui porte ces couleurs, en présentant différemment cette identité. »

Déjà chanteuse professionnelle, Yousra Mansour s’engage dans une résidence artistique musicale à Marrakech début 2017. Le projet, initié par un de ses amis musicien qui réarrange la musique traditionnelle gnaoua, réunit une bonne douzaine de musiciens sur scène. Parmi eux Brice Bottin, jeune Français originaire de Lyon. « Ce projet nous a amenés à apprendre le guembri, l’instrument à cordes spécifique à la musique gnaoua, dit Yousra. Il s’agissait de ma première expérience avec un groupe qui rend hommage à la musique traditionnelle. Auparavant, j’avais abordé les musiques occidentales et orientales, mais pas les traditions marocaines. Il n’y a pas eu de suite à la résidence, mais Brice et moi avons enchaîné sur notre propre projet. Notre apprentissage de l’instrument s’est fait sur un guembri plus petit, qui sonne dur et aigu, appelé “awicha”. Et nous avons eu l’idée de mélanger le son aigu et le son grave. Ainsi est né le concept guembri/awicha qui définit le style de Bab L’Bluz. Nos chansons ont été composées durant notre apprentissage : elles sont venues naturellement. Lorsque nous avons eu assez de morceaux pour faire un concert, je suis venue en France. Jérôme Bartholomé (percussions, flûte, voix) et Hafid Zouaoui (batterie, sampling pad, voix) nous ont alors rejoints et nous avons donné notre premier concert en octobre 2018. »

Leur premier album, paru au printemps 2020, révèle une démarche particulière, une nouvelle façon de transcender la tradition. « À la base, nous ne voulions pas faire une musique de fusion, poursuit Yousra. Dans une fusion, on entend bien que des musiques qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre ont été mélangées. Or nous voulions exprimer l’identité musicale qui s’est forgée en nous à partir des musiques qui nous imprègnent de leurs influences. Brice joue différents styles (bossa nova, R’n’B, etc.) avec différents groupes. Mais en composant nos morceaux, on ne réfléchissait pas à y mettre un peu de tel ou tel style, tout se mettait en place naturellement à partir de nos mémoires, de notre inspiration. Brice a voulu donner aux instruments un son très rock 70’s, en s’inspirant du “power trio” de Jimi Hendrix. C’est ce qui fait qu’on nous entend non comme un groupe de fusion mais comme un groupe de “rock du bled”. Un univers que nous avons construit en nous inspirant de la diversité qui est en chacun de nous. »

Ṛṛways. Voyage dans l’univers des poètes chanteurs itinérants amazighes (Atlas Azawan & Anya, 2020)

• Bab L’Bluz, Nayda (Real World, 2020)


[1] Miriam Rovsing Olsen, Chants et danses de l’Atlas, Arles/Paris, Cité de la Musique/Actes Sud, 1999.

[2] Voir François Bensignor, « Aïta, une anthologie », Hommes & Migrations, n° 1322, 2018, pp. 202-208. Ces deux anthologies sont dues au travail mené par Brahim El Mazned avec les équipes d’Anya, structure culturelle indépendante basée à Rabat, et par le studio de la fondation Hiba, association à but non lucratif œuvrant pour le développement de la création artistique au Maroc.

[3] Voir François Bensignor, « Musiques amazighes au Festival Timitar », Hommes & Migrations, n° 1263, 2006, pp. 125-131.