Champs libres : films

Mica

Film d’Ismaël Ferroukhi (Maroc, France, 2019)

journaliste

Ismaël Ferroukhi est un brillant réalisateur franco-marocain. Il s’est illustré dès les années 1990 avec son premier court-métrage, L’Exposé, qui remporte deux prix, Kodak et SACD, au Festival de Cannes. En 1994, il co-écrit Trop de bonheur avec Cédric Kahn.

Quant à son premier long-métrage, Le Grand Voyage, il remporte « le Lion du futur pour un premier film » à la Mostra de Venise en 2004. Son dernier film, Les Hommes libres, a été projeté au Festival de Cannes en 2011.

Mica est le pseudonyme d’un enfant issu d’un bidonville de Casablanca, qui signifie « sac plastique » car il collectionne des sacs. Un jour, il se retrouve propulsé homme à tout faire dans un club de tennis fréquenté par la nomenklatura marocaine où il va côtoyer les petites balles jaunes qui vont bientôt l’attirer, d’autant qu’il se fait remarquer par Sophia (Sabrina Ouazani), une ancienne championne bloquée dans son ascension par une grave blessure au genou. Elle se prend vite de sympathie pour cet enfant de 11 ans (incarné brillamment par le jeune Zakaria Inan) qui va affirmer des prédispositions, lesquelles attirent les jalousies des enfants de bourgeois qui fréquente le club de tennis. Mica nourrit des rêves de grandeur, il se voit réussir jusqu’à traverser la Méditerranée et s’installer à Marseille. Il va se dissimuler dans un container et réussir à réunir les 20 000 dirhams nécessaires pour payer un passeur et s’embarquer comme clandestin. En fin de compte, il renonce à son projet de « brûler », attiré par le prochain championnat des jeunes de moins de 12 ans sous le regard bienveillant de Sophia qui nourrit toujours autant d’espoir pour le jeune homme, lequel affiche de grands progrès.

Selon Ismaël Ferroukhi, en le surnommant Mica, on lui a retiré toute humanité, toute identité. Aux yeux de la société, il n’existe pas en tant qu’enfant. Et puis « sac plastique » est ainsi nommé en arabe parce que c’est l’objet le plus vendu par les enfants pauvres dans les souks, mais aussi parce que c’est polluant et, là encore, c’est un peu comme cela qu’on voit les enfants des rues dans les sociétés à forte disparité sociale, que ce soit en Afrique du Nord ou ailleurs. C’est aussi ce qui constitue l’essentiel des déchets dans les océans et les enfants qui tentent la traversée de la Méditerranée finissent malheureusement ainsi pour certains…

La genèse de l’histoire remonte à l’un des voyages au Maroc du réalisateur où il rencontre un ramasseur de balle, issu d’une famille pauvre, devenu entraîneur à Casablanca. « Son histoire m’avait beaucoup marqué, nous dit Ismaël Ferroukhi. Puis il y a quelques années, à Paris, tard dans la nuit, je tombe sur un groupe d’enfants de 10 à 15 ans venus du Maroc parlant mal le français… Après un échange un peu tendu et grâce à quelques cigarettes que j’avais en ma possession, ils ont fini par m’accepter. Très intrigué par leur présence à Paris, je les ai questionnés… ils m’ont avoué pourquoi ils avaient quitté leur pays et comment ils étaient venus en France, ce qu’ils avaient subi ici et dans leur pays d’origine. Mica est né de ces deux événements. »

Le personnage de Mica a été « casté » à travers tous les clubs de tennis de Casablanca et c’est à Kénitra, sa ville natale, qu’Ismaël Ferroukhi a repéré Zakaria Inan. « Il avait un talent inné pour la comédie et jouait assez bien au tennis. Zakaria était un enfant au fort tempérament et indépendant depuis longtemps. Il possédait toutes les qualités que je recherchais. Nous étions très proches pendant la préparation et le tournage du film. Nous sommes toujours en contact depuis. »

Outre le personnage de Mica sur qui repose le film, deux adultes sont aussi importants : bien sûr Sophia, interprétée par Sabrina Ouazani, actrice talentueuse et généreuse, qui va jouer la coach, et Hadj Kaddour (Azelarab Kaghat), le gardien du tennis club.

Orphelin de père, Mica trouve en eux deux « pères » de substitution, les deux lui transmettant, chacun à leur manière, leur savoir et leur regard sur le monde moderne pour l’un, et plus traditionnel pour l’autre. Et ces deux personnages sont essentiels avec l’idée de la transmission. Pour le cinéaste, « cette transmission revêt plusieurs formes, il y a celle du gardien Hadj Kaddour qui donne du recul sur la société dans laquelle vit Mica, et la coach sportive qui vient casser les codes inculqués par Hadj et ouvre à l’adolescent de nouvelles possibilités grâce au tennis ».

Alors que la réalité de l’histoire est très sombre et terrible, Mica demeure un film solaire, le cinéaste tenant malgré tout à un film plein d’espoir. Tournant le dos à une œuvre misérabiliste, Mica reste un film « humain, positif, ensoleillé et poétique ». Selon Ismaël Ferroukhi, Mica est un conte avec tout ce que cela comprend de ce genre, c’est-à-dire l’alliance de la cruauté sans esquive avec la possibilité marquée de s’en sortir. « Ce qui m’importe par-dessus tout, explique le cinéaste, c’est que l’on prenne la mesure de la situation inhumaine de ces mineurs et que l’on puisse proposer une alternative. »