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« L’environnement juridique international est défaillant sur la protection des chercheurs en exil »

Entretien avec Franck Latty, professeur de droit, directeur du Centre de droit international de Nanterre (CEDIN)

Franck Latty : J’ai découvert le programme lorsque j’ai été contacté par un docteur en droit de nationalité syrienne réfugié en France qui souhaitait être accueilli au CEDIN. L’image en fond de mon portrait est d’ailleurs une vue de Nanterre sous la neige prise depuis mon bureau. Par la suite, le CEDIN a monté une autre demande d’accueil pour un chercheur du Burundi dont je suis devenu le référent. Ce qui signifie travailler avec le chercheur en exil, démontrer l’adéquation de ses travaux avec les axes de recherche du laboratoire, puis de convaincre du bien-fondé et de la solidité du dossier. Les deux dossiers que nous avons montés ont été couronnés de succès !

A. G : Une fois la demande de dossier montée, que se passe-t-il ?

F. L : Nous accompagnons les chercheurs en suivant leur intégration d’un point de vue tant personnel que professionnel. La recherche d’un logement – à Paris plus particulièrement – est assez compliquée, il est très difficile de trouver de grands logements pour une famille. Dans certains cas, les proches sont obligés de vivre dans des villes éloignées, comme à Nîmes, alors que le chercheur est basé à Nanterre. Nous essayons de soutenir les chercheurs du mieux possible et notre chargée de mission auprès de la présidence arrive souvent à trouver des solutions grâce à toutes ses démarches. Au-delà de ces aspects personnels, nous veillons à l’intégration du scientifique au niveau du laboratoire de recherche en le faisant participer aux diverses manifestations scientifiques, par exemple aux conférences pour nos étudiants de master ou à d’autres événements liés à l’actualité où ils partageront leurs recherches. Nous les orientons aussi vers les revues scientifiques et relisons leurs textes avant qu’ils soient soumis à publication. Comme nous travaillons sur le droit international, il est plus facile d’avoir des projets de recherche qui correspondent à celui d’un chercheur étranger. Dans mon portrait, nous pouvons ainsi apercevoir une mappemonde inversée par l’effet du miroir qui symbolise le droit international, mon principal champ de recherche, le monde et les règles qui l’organisent. Par le hasard de la photographie, les pays dont sont originaires nos chercheurs sont visibles. Il y a aussi un autre élément dans mon portrait, la statue de la place de la République, prise depuis le bas de l’escalier de la bouche de métro. S’y dessinent aussi les arbres. Cette photo me plaît, parce que Paris est ma ville, mais aussi parce que la place de la République est un endroit symbolique pour la défense de la liberté d’expression. Après les attentats de Charlie Hebdo, c’est là que plus d’un million de personnes se sont réunies. Cela concerne la situation des chercheurs en exil dont les libertés sont menacées.

A. G : Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les chercheurs ?

F. L : Principalement des raisons extérieures au programme lui-même. Par exemple, l’arrivée d’un chercheur syrien en plein blocage de l’université et dans une période de manifestations. Deux ans après, le chercheur burundais a connu la pandémie de la COVID-19. Le confinement a abouti à des restrictions sanitaires importantes. En ce moment, l’activité scientifique collective est réduite et il est très difficile d’insérer les chercheurs puisque la recherche est plus individuelle. En dehors de ces circonstances particulières, PAUSE préserve les chercheurs en exil de la précarité pendant quelques mois en leur permettant de poursuivre leurs recherches. Toutefois, ces financements sont à durée limitée et la précarité peut arriver à la fin du programme parce qu’il n’y a généralement pas de poste pérenne à offrir. En France, les recrutements sont difficiles et le nombre de places limité. Nous réfléchissons à la suite mais nous n’avons pas de solution miracle pour l’instant. Les contrats post-doctoraux ne sont ni nombreux ni durables, et il est très difficile pour le chercheur de trouver autre chose.

A. G : Au niveau du droit international, y a-t-il des pistes de protection particulières pour les chercheurs en danger ?

F. L : Je ne suis pas spécialiste de ces questions mais il est certain que l’encadrement juridique est défaillant au niveau international. Il n’existe pas encore de protection spécifique pour les chercheurs en exil et la période actuelle de recul du multilatéralisme n’est pas propice à ces développements. Il y a les conventions relatives aux réfugiés, bien sûr, mais tous les chercheurs en exil n’ont pas le statut. Au niveau de l’Union européenne, il y a aussi des règles qui s’appliquent à la marge. Par ailleurs, la Convention européenne des droits de l’homme ne prévoit pas de dispositions spécifiques mais la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme interdit le renvoi des personnes qui courent un risque. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ou l’Organisation internationale pour la migration (OIM) encouragent la coopération interétatique en matière scientifique ou de gestion des flux migratoires, mais a priori l’État d’origine n’est guère enclin à coopérer lorsqu’il est question de chercheurs ayant fui la mère patrie…