Article de dossier/point sur

1973, l’année intense

historien, maître de conférences, Unité de recherches Migrations et société (Urmis), Université Côte d’Azur, membre du comité de rédaction de la revue Hommes & Migrations.

Revenir sur la question de l’immigration en France en 1973, c’est se donner pour ambition de revisiter un moment intense de notre histoire. Ce numéro se donne pour contrainte d’isoler cette date jugée « épaisse » qui nous ramène dans la France pompidolienne (1969-1974), avec Pierre Messmer comme Premier ministre (1972-1974) et une puissante opposition de gauche communiste et socialiste (avec les figures de Georges Marchais et François Mitterrand), engagée dans un processus de programme commun. Choisir cette date, c’est se donner pour ambition d’analyser les mutations d’une question déjà majeure à bien des égards. Il s’agit de comprendre pourquoi cette année 1973 est sans doute l’une des plus violentes de l’histoire de la Ve République en matière de racisme tout en étant l’une des plus riches en mobilisations de travailleurs immigrés ou de mouvements militants en leur faveur. Il s’agit également de comprendre pourquoi tout se scelle avant même la crise économique et ses effets : une manière d’introduire de la nuance dans le découpage parfois trop rapide et sommaire dans l’histoire de l’immigration en établissant un tournant strict en 1974. Pourquoi cette oscillation d’une année est-elle si importante ? Parce qu’elle remet en cause l’idée que la crise économique serait la source de tous les maux. Bien entendu, il ne s’agit pas de négliger son impact mais il apparaît judicieux de nuancer l’idée de son effet brutal sur la gestion et la perception de l’immigration. Le lecteur l’aura compris, dans ce dossier, il sera question de temporalités et de moments charnières : tous les articles ne s’accordent d’ailleurs pas forcément, mais chaque auteur a joué le jeu de s’interroger sur la pertinence ou pas de cette date dans la thématique qu’il aborde. Sans pour autant considérer 1973 en valeur absolue : bien des questions évoquées émergent auparavant en 1972 ou 1971, voire plus tôt, tandis que d’autres se prolongent au-delà. Mais ce dossier a été réalisé à partir d’une hypothèse collective de chercheurs pour la plupart spécialistes des questions migratoires, principalement historiens mais aussi politistes, sociologues, anthropologues, démographes et militants de l’époque.

Toutes les immigrations, toutes les altérités

Si, en 1973, l’immigration maghrébine est omniprésente dans l’espace public (plus de 1,4 million au recensement de 1975, avec 800 000 Algériens, 430 000 Marocains et 200 000 Tunisiens), sujet de toutes les attentions, d’autres populations sont installées en nombre dans l’Hexagone. Portugais (760 000 en 1975), Espagnols (500 000) voire Italiens (460 000) sont au centre de multiples discours. Les deux premières nationalités sont concernées aussi bien par la question du travail, des conditions de vie difficiles en France et de la xénophobie dont elles sont victimes que par leur rapport complexe au pays d’origine toujours sous dictature – la révolution des Œillets se déroule en 1974 tandis que Francisco Franco meurt en 1975. Les Italiens, encore un peu désignés comme « migrants », vivent la fin d’une longue séquence d’un siècle de circulations, voire d’installation, chez la sœur latine. L’importante population venue d’Afrique subsaharienne joue aussi un rôle majeur dans cette période postcoloniale : en 1973, les « Noirs », toujours envisagés comme les représentants de races inférieures, subissent bien des vexations qui s’expriment, par exemple, dans les fortes réticentes face aux éventuelles unions mixtes avec des « Françaises » ou le refus d’accès qu’ils se voient opposer dans certains cafés, restaurants ou night-clubs. D’autres altérités complètent le tableau : pieds-noirs en souffrance dans le contexte de leur intégration dans l’Hexagone, Harkis déjà « oubliés de l’histoire », Roms bien que peu visibles à cette époque, Ultramarins souvent considérés comme des Français de seconde zone, réfugiés chiliens à la suite du coup d’État de Pinochet survenu en septembre 1973, Turcs (120 000 en 1975), Chinois et autres Asiatiques (170 000), encore peu mis en avant bien que présents dans certains secteurs économiques et certains quartiers des grandes villes, et Juifs toujours soumis à l’antisémitisme même s’il est plus latent que violent à cette époque. Ainsi, avec des rythmes et des dimensions qui diffèrent, la France de 1973 est celle d’une diversification des « immigrations » – au sens large et au sens du regard de l’opinion car certains sont considérés à leur insu comme des « Autres » – qui imprègne la vie sociale. Ces migrants peu envisagés à l’aune de l’intégration, les Français les croisent dans leur quotidien sans les connaître, entre mépris, indifférence et ignorance. C’est le temps des « premières générations » de travailleurs immigrés célibataires que l’on pense, souvent à tort, concentrés sur leur retour au pays, ou celui de familles immigrées dont le rôle des femmes et des enfants va croissant sans que l’opinion française n’en prenne encore réellement conscience.

1973, pour mieux appréhender 1974

Mettre un coup de projecteur sur 1973 permet de saisir des multiples enjeux liés au thème de l’immigration sous la Ve République. Et de fait, l’intensité de 1973, permet de mieux interroger le tournant de 1974, de la crise économique et de la fin des « Trente Glorieuses » avec la mise en place d’une politique restrictive de l’immigration sous le septennat Giscard d’Estaing. De multiples problématiques se nouent au début des années 1970 avec comme point d’orgue 1973 : elles vont influer sur la manière dont l’opinion réagira par la suite. D’aucuns ont tendance à penser que le racisme est une conséquence directe de la crise économique. Il faut nuancer : certes, la crise n’a pas arrangé la situation et il n’est pas douteux qu’il ait pu exister un « racisme de crise ». Cependant, il est indispensable de dépasser la vision binaire de l’évolution de la France d’après 1945 – en matière d’immigration du moins – qui distinguerait une période « d’ouverture », qui se terminerait avec l’épisode de la crise, avant de basculer dans une période de « fermeture ». L’année 1973 est la preuve de la nécessité de réviser un tel découpage en multipliant les approches. Le racisme mais aussi l’antiracisme, sous toutes leurs formes, s’expriment avec une grande acuité tout au long de cette année riche en événements.

Haine ordinaire, haine radicale

Sous le poids des préjugés, 1973 est marquée par une intense violence raciste. Cette haine contre les étrangers en général, qui s’en prend particulièrement aux travailleurs immigrés « nord-africains », s’exprime de différentes manières. Dans les mots – « bougnoules », « bicots » sont des termes quasi-courants dans le langage commun – mais aussi dans les actes : la chronique des faits divers est riche en « arabicides », souvent impunis. Parfois, l’acte raciste s’organise en bandes de tous âges, plus ou moins organisées qui procèdent à des ratonnades, véritables passages à tabac entraînant parfois la mort. Qualifiée de racisme « ordinaire », cette violence haineuse s’exprime en mêlant franchouillardise, bêtise et peur de l’Autre sur fond de remugles de la Guerre d’Algérie. Un pic est atteint dans le Midi lorsque, notamment à Marseille à la fin de l’été 1973, les esprits s’échauffent gravement au point de laisser craindre la propagation d’une véritable « guerre raciale », comme l’a laissé entendre le maire socialiste de Marseille, Gaston Defferre, dans un entretien télévisé début septembre. Mais la haine s’exprime aussi à travers une extrême droite radicalisée bien qu’en pleine restructuration. Recueillant peu de suffrages, ses militants laissent libre cours à une violence assumée et débridée contre les « Arabes » qu’ils « ciblent » en créant des groupuscules activistes armés. Que ce soient des organisations clandestines, telles que le Groupe Charles Martel créée en 1973 et qui n’hésite pas à plastiquer ou à tuer, ou bien des organisations plus officielles comme Ordre nouveau (créé en 1969) ou le Front national (créé fin 1972), le leitmotiv anti-immigrés se place en première position de leurs discours et de leurs actes. Ainsi, le 21 juin 1973, dans la salle de la Mutualité à Paris, un meeting d’Ordre nouveau, précisément sur le thème « halte à l’immigration sauvage », dégénère. Totalement hostiles à ce slogan, les militants de la Ligue communiste (LC) d’Alain Krivine ont décidé de venir en découdre avec la ferme intention de faire cesser ce rassemblement. Des heurts avec la police surviennent, plusieurs blessés sont à déplorer, ce qui vaudra à la Ligue communiste et à Ordre nouveau d’être toutes deux dissoutes par le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin sur fond de contestation au sujet de cette parité dans l’interdiction.

Sommes-nous racistes ?

« La France ne doit pas mettre le doigt dans l’engrenage du racisme », cette phrase prononcée par le président Georges Pompidou le 29 août 1973 en Conseil des Ministres illustre une interrogation majeure de la France et des Français en 1973 : « Sommes-nous racistes ? » La prise de conscience de l’ampleur d’un phénomène jusqu’alors négligé suscite bien des émotions. Alors que les autorités politiques et morales du pays ne cessent de réaffirmer que la France ne peut pas être raciste parce que sa tradition est celle d’une terre d’accueil et d’asile, personne n’est dupe : le rejet des immigrés gangrène le pays. Presque métaphysique, la question « La France est-elle raciste ? » est régulièrement posée dans les médias qui, pour la plupart, déplorent ces actes dans la rubrique des faits divers. De manière emblématique et assez glaçante, un reportage de Paris-Match couvre la flambée raciste de septembre 1973 par l’introduction suivante : « Les Français sont-ils racistes, les “bicots” sont-ils dangereux ? » 1973 sonne ainsi comme un douloureux témoignage : s’étant à tort considérés comme à l’abri d’attitudes haineuses, les Français pensaient avoir résolument tourné la page des épisodes tragiques de leur passé récent. C’était négliger que la Guerre d’Algérie ou Vichy étaient encore des plaies à vif pour le plus grand nombre. L’historien américain Robert Paxton, dans son livre sur La France de Vichy qui sort précisément en 1973, agit comme un révélateur au même titre que le documentaire de Marcel Ophüls, Le chagrin et la pitié, sorti en 1971 et censuré par l’audiovisuel public. Dès lors, le racisme de 1973 fait ressurgir les abysses des années algériennes et de la France du maréchal Pétain (dont on vole le cercueil à l’île d’Yeu en février). La prise de conscience du racisme ouvre aussi les yeux sur les difficultés d’une population immigrée longtemps ignorée. Dès lors, s’accuser de racisme, c’est sortir du déni et se questionner plus lucidement sur l’altérité. Ouvrir les yeux collectivement est une bonne chose, mais la prise de conscience individuelle est tout aussi nécessaire. « Je ne suis pas raciste mais… » : dénoncer la perversité de cette phrase si souvent entendue en 1973, c’est affirmer que chacun doit balayer devant sa porte et réfléchir à ses propres actes. Le raciste n’est pas toujours chez autrui.

La peur du nombre

La crainte de l’invasion est bien réelle dans la France de 1973 : la publication du roman de Jean Raspail, Le Camp des saints (Robert Laffont) cette année-là en donne une version romancée bien inquiétante, tout comme l’ouvrage du démographe Alfred Sauvy Croissance zéro (Calmann-Lévy) paru la même année et qui fait directement référence, dans différents chapitres, au risque d’invasion de la France et de l’Europe par des populations venues du Tiers-monde. De leur côté, les mouvements d’extrême droite agitent régulièrement ce spectre, comme c’est le cas dans le meeting d’Ordre nouveau du 21 juin à la Mutualité, dans les professions de foi du Front national de Jean-Marie Le Pen ou dans les colonnes de Minute. Mais cette peur de la masse des migrants s’exprime aussi dans d’autres circonstances et dans d’autres milieux. Fallacieuse, la notion de « seuil de tolérance » est alors en vogue dans les discours politiques et même chez certains intellectuels. Considérant qu’au-delà d’un certain « seuil » de présence – fixé autour de 10 % en se fondant sur des études pseudo scientifiques jamais identifiées – d’une population immigrée dans un lieu (école, quartier, ville), le racisme est explicable, voire justifiable. Par ailleurs, dans certaines mairies communistes de la banlieue parisienne, la notion de « répartition équitable des immigrés » se diffuse insidieusement, amenant certains élus à refuser de construire des foyers de migrants dans leur commune par peur d’un « trop plein » de problèmes sociaux. Avec un effet pervers : cette manière de penser et d’agir provoquera, en 1981, l’affaire du « Bulldozer de Vitry » lorsque le maire communiste a fait détruire le chantier de construction d’un nouveau foyer de migrants avant d’être accusé de racisme. Se sentir envahi devient l’un des moteurs du racisme dans la société française, des milieux populaires aux élites intellectuelles et politiques. Comme un clin d’œil, début 1974, le film Les Chinois à Paris de Jean Yanne sort en salles avec un scénario mettant en scène l’invasion de la France par les Chinois maoïstes.

Guerre d’Algérie dans les esprits, question palestinienne à vif

Une décennie après la fin de la Guerre d’Algérie, le conflit est encore dans toutes les mémoires et, même si certains ont pu tourner la page, bien des rancœurs subsistent. Les travailleurs immigrés « nord-africains » sont la cible d’un discours revanchard de la part de milieux extrémistes souvent nostalgique de l’OAS. De leur côté, les Harkis et, bientôt, leurs enfants se manifestent pour exiger un meilleur traitement et un statut plus digne de la part de la France. Ce climat de tensions, déjà latent depuis quelques années, explose littéralement dans la deuxième partie de l’année 1973, notamment dans le Sud du pays. Parallèlement, les relations franco-algériennes s’assombrissent : le ministre des Affaires étrangères algérien, Abdelaziz Bouteflika, en visite officielle en France en juillet, dénonce les mauvaises conditions d’accueil des travailleurs immigrés et le racisme qu’ils subissent. Face au peu de garanties données par le gouvernement Messmer et en réaction à la flambée raciste de septembre, le président Houari Boumédiène décide de suspendre l’émigration, mesure plus spectaculaire qu’efficace. Par ailleurs, comme en 1967, le conflit israélo-arabe pèse lourdement sur le rapport entre Français et « Arabes », avec des animosités sur fond de géopolitique du Proche-Orient, notamment autour de la question palestinienne. Au-delà des travailleurs, les étudiants étrangers en provenance des pays riverains du bassin méditerranéen sont souvent victimes de rejet.

Circulaires Marcellin-Fontanet, immigrés en lutte, mobilisations antiracistes

L’année 1973 est celle de la mise en application des circulaires Marcellin-Fontanet. Rendues publiques l’année précédente, elles mettent en œuvre une politique restrictive de l’immigration. De nombreuses protestations s’expriment alors en prenant parfois des aspects spectaculaires. La première se développe sous la forme de grèves de la faim dans de nombreuses églises dans toute la France : commencé à Valence, à Noël 1972, le mouvement se généralise et se poursuit durant les mois suivants. Une solidarité chrétienne se manifeste ainsi à différents niveaux de l’épiscopat. En outre, les travailleurs immigrés eux-mêmes développent des luttes spécifiques : l’Union générale des travailleurs sénégalais de France (UGTSF) ou le Mouvement des travailleurs arabes (MTA) en sont l’exemple, s’opposant aux structures traditionnelles qui sont censées les représenter, comme les amicales ou autres structures en lien avec les gouvernements des pays d’origine et comme les syndicats ou partis politiques français. Par ailleurs, une véritable nébuleuse antiraciste « française » développe son potentiel d’action en faveur des migrants. Certains sont depuis longtemps sur le terrain, d’autres émergent autour de l’année 1973. Outre certains milieux catholiques et protestants, on trouve, parmi les structures anciennes : la Ligue des droits de l’Homme (LDH), la Ligue internationale contre l’antisémitisme (Lica), le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix (Mrap). Parmi les structures plus récentes, la Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés (Fasti), créé en 1966, ou le Groupe d’intervention et de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti), créé en 1972, envisagent des actions plus localisées et davantage en prise avec la vie quotidienne. Des intellectuels s’engagent également, de même que l’extrême gauche qui fait de la lutte en faveur des migrants l’un de ses combats majeurs. Entre autres, le Comité de défense de la vie et des droits des travailleurs immigrés (CDVDTI), créé à l’initiative de militants et d’intellectuels français et immigrés fin 1972, est l’une des émanations de cette mobilisation. Au final, les travailleurs immigrés se découvrent une capacité à mener des luttes autonomes et à sentir leur potentiel en matière de conflit social et de dénonciation de leur exploitation. Le vaste mouvement de grèves et de manifestations tous azimuts finira par faire abroger les circulaires Marcellin-Fontanet. Quant aux mouvements antiracistes, la loi Pleven de 1972, qui avait été portée notamment par le Mrap, leur fournit un outil de mobilisation tout neuf.

Logement et vie quotidienne en question

Bidonville, habitat précaire : l’année 1973 est toujours marquée par les difficultés de vivre au quotidien pour les migrants en France. Le gouvernement, conscient du problème depuis quelques années, développe une politique d’éradication des bidonvilles et des taudis qui commence à peine à porter ses fruits et pose ainsi les premiers jalons de ce qui sera plus tard la politique de la ville. C’est l’époque où l’on dénonce avec virulence les « marchands de sommeil » peu scrupuleux qui exploitent la misère immigrée. S’il n’est pas encore question des « banlieues », outre les foyers Sonacotra et autres logements de ce type, en plein développement, les « grands ensembles » sont progressivement investis par les familles immigrées. Face aux situations de misère dénoncées par les milieux antiracistes, le ministre du Travail, Georges Gorse, envisage en mai des mesures d’« humanisation » de la condition des travailleurs étrangers dans leur vie quotidienne en France avec le logement comme thème central.

Productions culturelles

1973 est également riche en productions culturelles en lien avec les migrations, que ce soit des créations françaises en tout genre ou des œuvres produites par des représentants des « cultures immigrées » préfigurant la future émission Mosaïques sur FR3, lancée en 1977. S’il est vrai qu’à cette époque la mixité est faible, l’ensemble de ces productions permet néanmoins de prendre la mesure de l’importance du thème. Ainsi, Plantu, caricaturiste au Monde depuis 1972, produit plusieurs dessins emblématiques sur le sujet, restés fameux. En matière d’humour, Fernand Raynaud, qui trouve la mort en 1973, a livré quelques sketches antiracistes significatifs, tandis que Pierre Péchin se prépare à livrer sa version en sabir arabe de « La cigale et la fourmi » qui obtiendra un prodigieux et ambigu succès à partir de 1974-1975. Le théâtre immigré est d’une grande richesse, développé dans de nombreuses régions de France, produisant des œuvres militantes et de qualité. De leur côté, les musiques issues des diverses immigrations sont largement diffusées sous forme de disques, cassettes, scopitones ou concerts, sans être forcément connues du « grand public ». C’est en 1973 que le chanteur Dahmane El Harrachi publie « Ya Rahya » (« Toi qui t’en vas ») qui sera reprise avec grand succès, notamment en 1997 par Rachid Taha. Le cinéma n’est pas en reste avec le film Dupont Lajoie, envisagé par son réalisateur Yves Boisset en 1973 avant sa sortie deux ans plus tard. Il provoque le choc du public comme un effet miroir. Les aventures de Rabbi Jacob réalisé par Gérard Oury, immense succès dans les salles, met en scène les stéréotypes et notamment l’antisémitisme à travers la figure si populaire de Louis de Funès qui les porte à l’écran pour mieux les dénoncer. Un autre film réalisé en 1973 évoque l’immigration, c’est Traitement de choc d’Alain Jessua, avec Alain Delon et Annie Girardot. Sorte d’allégorie sociale prenant la forme d’une fable d’anticipation, le film évoque l’extraction des « cellules fraîches » de jeunes migrants portugais confinés dans un centre de thalassothérapie que l’on transfère à de riches curistes à partir de manipulations médicales odieuses. À sa manière, le polar plus confidentiel de Jean-Pierre Bastid, Méchoui Massacre, traite d’un sujet proche, tout comme le roman de Raymond Jean, Ligne 12. Dans un autre genre, les travailleurs immigrés prennent la plume en 1973 pour témoigner de leurs difficiles conditions de vie. Il s’agit de Moncef Métoui avec Racisme, je te hais (La pensée universelle), Mohammed Belkacemi avec Alain Gheerbrant pour Belka (Fayard) ou encore Ahmed, Une vie d’Algérien, est-ce que ça fait un livre que les gens vont lire ? (Seuil). Le sport n’est pas en reste puisque de multiples figures étrangères s’illustrent en France dans diverses disciplines. En football, fait rare, les Bleus avec leur « garde noire » en défense (Marius Trésor, Guadeloupéen, et Jean-Pierre Adams, d’origine sénégalaise) sont dirigés par un entraîneur roumain, Stefan Kovacs.