Champs libres : films

Haut et fort

Film de Nabil Ayouch (Maroc, 2021)

journaliste

Haut et fort mérite tout à fait son titre ambitieux. Haut et fort, le film l’est véritablement. Son réalisateur, Nabil Ayouch, surprend d’autant plus qu’il signe là une comédie musicale, lui qui nous a habitués à des drames sociaux, même s’ils avaient souvent pour sujet la jeunesse, qui toujours interpellé le réalisateur… Nous repensons au passage à Ali Zaoua ou aux Chevaux de Dieu qui avaient pour thème central le terrorisme islamiste.

Bien que changeant de genre cinématographique et de registre, le metteur en scène, déjà prolixe (12 films), manifeste un talent et une maîtrise qui rappellent par endroits West Side Story (il y a d’ailleurs une scène qui y fait référence explicitement en forme de clin d’œil).

Le point de départ de Haut et fort, c’est l’envie profonde de Nabil Ayouch de donner la parole à la jeunesse de son pays qui s’exprime ici par le chant et la danse en explorant les voies du hip-hop, lequel a émergé durant les révolutions arabes de 2011 et 2012.

Même s’il avoue volontiers ne pas être un assidu de la culture hip-hop, il en a toutefois été fortement imprégné pendant son adolescence à Sarcelles en banlieue parisienne où il a grandi dans les années 1980. Et un lieu emblématique, la Maison des jeunes et de la culture, va l’inspirer pour installer sa caméra à Sidi Moumen dans la banlieue de Casablanca où s’ébat tout un aréopage de jeunes gens, filles et garçons, joyeux drilles qui se sont remis entre les mains expertes d’Anas, un ancien rappeur qui a été engagé par le centre culturel de ce quartier populaire de Casablanca où la jeunesse est souvent totalement livrée à elle-même. Dès lors, encouragés par leur nouveau professeur, les jeunes vont tenter de se libérer du poids de certaines traditions pour vivre leur passion à fond et s’exprimer à travers cette culture hip-hop qui les enchante.

Marqué par ce quartier populaire de Sidi Moumen où il a le désir de laisser une trace, Nabil Ayouch se lance dans une entreprise de création de lieux culturels et, dès lors, il fait naître au Maroc des lieux où offrir à la jeunesse la même opportunité qu’il a eue lui-même gamin à Sarcelles… Cinq centres sont ouverts à ce jour, dont celui de Sidi Moumen où a été filmé Haut et fort.

L’intrigue du film est née d’une rencontre, celle qu’a faite le réalisateur, après l’ouverture du centre, avec un jeune homme de 25-26 ans qui s’est présenté à lui comme un ancien rappeur avec « tout un monde derrière lui » lui dira-t-il, et dont la volonté de transmettre l’amène à organiser des cours auprès des jeunes qui apprennent ainsi à s’exprimer et à écrire sur leur vie.

Observé de près par le cinéaste pendant toute une année, il surprend favorablement Nabil Ayouch qui sera conquis par un spectacle que l’ancien rappeur a monté avec les jeunes. Dès lors, son choix est fait : ce jeune homme va nourrir le personnage d’Anas auquel il va donner vie et épaisseur au point de porter avec verve Haut et fort, et autour duquel a su s’agréger avec talent toute cette jeunesse de Sidi Moumen qui va s’illustrer avec grâce et énergie selon les chorégraphies imaginées par celui qui est devenu leur maître à penser et à danser.

Le film a d’emblée été pensé comme une comédie musicale sur laquelle Nabil Ayouch s’explique en détail : « Comme dans une comédie musicale, il y a le récit principal, le quotidien de cette classe, le travail, leurs discussions, avec une mise en scène plus naturaliste, une direction plus improvisée qui donne l’illusion du documentaire. Là, on se confronte au réel, on regarde les visages, on écoute les mots, on est dans le dur… et puis soudain, par la musique, par la danse, on s’échappe. Là, j’ai travaillé de manière beaucoup plus cachée en essayant de proposer à chaque personnage, à chaque numéro, quelque chose de différent, je voulais que ça leur ressemble… On a beaucoup répété ces moments dansés avec le chorégraphe Khalid Benghrib et mes directeurs de la photo. »

Toutes les scènes dans le centre ont été travaillées sur la profondeur, le sens et la spontanéité. Comme d’habitude, Nabil Ayouch a choisi pour son casting des non-professionnels, d’où la fraîcheur qui habite les jeunes néo-acteurs qui brillent par leur naturel et leur énergie en sachant trouver la symbiose avec le personnage du professeur Anas. Nabil Ayouch réussit avec Haut et fort un film qui fait la part belle à la transmission et à l’enseignement tels qu’il en a hérité à la MJC de Sarcelles, ce qui donne in fine une œuvre qui se situe au croisement du documentaire et de la fiction.