Les relations sont tendues, et c’est un euphémisme, entre communautés gitanes et maghrébines, défrayant souvent la chronique locale dans certaines agglomérations du sud de la France méditerranéenne. Rivalités de trafics et de territoires. Incompatibilités d’humeurs et d’amours. Agressions, expéditions punitives, batailles rangées. Homicides. Karim Dridi, réalisateur éclectique et inaliénable dans ses engagements, nous avait déjà offert, avec Bye-bye, en 1995, une chronique inégalable autour du “destin” d’un jeune homme issu de l’immigration – enfin considéré comme un personnage à part entière et auquel Sami Bouajila imposait sa présence bouleversante. Avec Khamsa, il retrouve un thème qui lui est cher. Et cela sans jamais jouer la carte exclusive d’un cinéma communautaire qui privilégierait ses attaches personnelles : rien ne l’afflige ou ne l’indigne plus, c’est selon, que cet rattachement génétique à un prétendu cinéma beur qui aurait ses thèmes, ses codes, ses interprètes et ses limites. Il revendique d’être un touche-à-tout. Sauf qu’il choisit de porter ses regards “sur les exclus, les déshérités, les minoritaires”, plaçant ses personnages en situation de choc des cultures. L’injustice faite aux enfants en milieu défavorisé entre dans le champ de ses préoccupations et Khamsa s’inscrit dans ce déni et cette volonté. Marco, onze ans et demi, héros du film, est un métis touché par la grâce – Marco Cortès lui prête son visage d’ange, sa silhouette fragile et sa voix de flamenco. Sa mère, qui est morte, était algérienne ; et elle semble ne lui avoir légué que la main de Fatma qu’il arbore autour du cou quelles qu’en soient les conséquences dans la tribu gitane où il a été élevé. Bon garçon, il revient au camp Mirabeau – tout en bâtiments et roulottes sous l’échangeur de l’autoroute du Soleil – pour visiter sa grand-mère malade. Malgré un accueil mitigé des siens – notamment de son père, joué par Simon Abkarian, hallucinant en jouisseur tatoué et géniteur indigne –, il est décidé à ne pas regagner le foyer où il a été placé à la suite de ses incartades et dont il s’est sauvé. Le jeune garçon va reprendre sa vie de chenapan avec la petite bande où les Gitans s’affrontent avec les Maghrébins dans des délits de plus en plus risqués : vol à l’arraché, cambriolage, attaque à main armée. Sa bâtardise et son sens moral le poussent à avoir des amitiés des deux bords : avec Tony le Nain – Tony Fourmann –, éleveur de serpents et organisateur de combats de coqs, avec Mike, dit le Coyote – Raymond Adam –, un vrai cousin, c’est-à-dire un frère, mais aussi avec Rachitique – Mehdi Larbi –, adolescent arabo-marseillais à l’élocution ahurissante. Le film est dur. Il n’épargne rien ni personne. Les adultes redoublent de violence et les enfants se mettent également volontairement en danger. Le comble, c’est qu’il en émane un climat de vérité parfois insoutenable, mais sans stigmatisation ni laideur. Il est vrai que l’auteur aime reprendre à son compte la phrase de Truffaut : “Il faut enchanter le réel.”