Éditorial

L'année des chocs

Rédactrice en chef de la revue

L’année 2015 a été marquée par la collision des événements et des situations. Les attentats meurtriers de janvier et novembre 2015 ont sidéré la société française. Ils ont relancé des débats contradictoires sur les interprétations de violences qu’il s’avère difficile de circonscrire par des explications mono- lithiques. Les tensions vives entre des populations au sein de la société française risquent de renforcer les affrontements idéologiques et les amalgames entre terrorisme, banlieue et immigration, que la revue combat à travers ses articles.

La crise des réfugiés s’est intensifiée et met l’Europe de Schengen au défi de clarifier les positions de ses États-membres sur l’adoption d’une poli- tique migratoire commune répondant aux réalités tragiques des migrants. Comment accueillir ceux qui fuient les conflits et accostent sur les pourtours de la Méditerranée ? Comment éviter la fermeture des frontières externes et internes de l’Union ? Au-delà de la gouvernance des flux, l’Europe peut-elle envisager une réponse claire et conforme à l’hospitalité démocratique ? Les débats sur les migrations internationales reviennent en boucle comme une alarme dans l’espace public, un baromètre des tensions qui l’agitent. Les questions sur l’immigration, les identités, les cultures, les affiliations convergent vers une seule problématique qui remet en cause la place des populations immigrées dans les sociétés européennes. Toutes ces interrogations ouvrent de vastes chantiers que la revue Hommes & Migrations abordera dans sa programmation en 2016 pour faire l’état des lieux des recherches qui répondent à ces inquiétudes.

En 2015, au moment où l’Iran reprend le dialogue avec les principales puissances mondiales et bénéficie d’une levée progressive de l’embargo, la revue a choisi de publier une cartographie de la diaspora iranienne qui, depuis plus de trente-cinq ans, s’est consolidée à la suite de la révolution islamique. “Or cette diaspora est aujourd’hui particulièrement hétérogène, du fait de sa stratification historique, et traversée par de multiples diffractions selon les périodes et les causes des départs”, disent les deux coordinateurs du dossier, Amin Moghadam et Serge Weber. Il n’y a vraisemblablement pas une seule diaspora iranienne, ni une seule appréciation de l’ouverture de l’Iran par ceux qui vivent à l’étranger. Si cette diaspora doit être envisagée au pluriel tant il est vrai que, depuis plusieurs décennies, les profils socio-logiques et les temporalités des migrations iraniennes ont changé (des exilés, des étudiants, des artistes, etc.), les contextes d’accueil ont aussi influencé les liens entretenus avec le pays d’origine. L’Iran est devenu de manière moins visible une terre pour les réfugiés des conflits régionaux et a saisi les opportunités des réseaux transnationaux pour se composer une politique de puissance diasporique sur mesure.

Dans les chroniques, Hommes & Migrations rappelle que l’arrivée des réfugiés est une constante de l’histoire migratoire française. Une série d’articles montre comment des populations juives originaires d’Europe centrale, orientale et d’Afrique du Nord ont été accueillies depuis l’après-guerre. À travers le regard des travailleurs sociaux, ce sont les parcours familiaux qui se dévoilent et nous interpellent.

Enfin, l’immigration turque a commémoré en 2015 les cinquante ans de son histoire française. Gaye Petek, longtemps associée à la revue, nous retrace les étapes d’une migration peu connue, peu étudiée, et qui semble s’être repliée sur elle-même. Les transmissions d’une génération à l’autre pâtissent de la précarisation des jeunes d’origine turque dans la société française. Une enquête auprès d’élus municipaux d’origine turque montre combien la fonction de médiation reste ambivalente dans une société qui redoute le communautarisme.