Champs libres : livres

En finir avec les idées fausses sur les migrations

Sophie-Anne Bisiaux, Paris, Les éditions de l’atelier, 2021, 208 p., 8 €

journaliste, spécialisé en littérature issue de l'immigration

C’est une tâche énorme, répétitive, un « travail de Sisyphe nécessaire », dit François Héran, que de convaincre nos concitoyens d’« en finir avec les idées fausses sur les migrations ». « Le phénomène migratoire est divers et complexe » alors, face aux simplifications, aux pensées binaires, aux terribles et pauvres logiques de la calculette ou des vases communicants, face aux instrumentalisations, de celles qui assurent un matelas d’électeurs ou d’audimat, face à l’ignorance et aux mensonges, aux discours de haine et aux pousses aux crimes, aujourd’hui décomplexés, il faut encore et toujours informer, convaincre et… croiser le fer. Et la chose n’est pas purement spéculative. Elle l’est même de moins en moins, car de ce travail de Sisyphe dépend la sécurité, la survie et trop souvent la vie même d’hommes, de femmes et d’enfants. Et, ce qui n’est pas le moindre, comme le souligne l’auteure, pendant que l’on met le métèque sur le gril, on détourne l’attention de ce qui préoccupe le citoyen : pouvoir d’achat et inégalités socio-économiques, crise sanitaire, dégradations environnementales, crise de la démocratie et de la représentation. C’est dire pourquoi cette publication est aussi une publication de combat et ce, sans rien céder à la rigueur des faits et des analyses.

Pourtant, comme il est impossible de convaincre par la seule force des idées (ou de la morale), ici ou là, certaines formules pourront paraître contre productives, par trop militantes, incapables de toucher la raison – par ailleurs polluée – des indécis et encore plus des hostiles. Mais la chose est rare. Dont acte. Petit bémol tout de même sur la laïcité et l’islam : fallait-il prendre pour argent comptant la doxa délivrée par les barbus sur ce qu’est ou n’est pas l’islam et la martyrologie de militants pour avancer que la laïcité serait utilisée « à l’encontre d’une religion » et renvoyer Pierre ou Paul – mais aussi Mohamed ou Fatima ! – à « des arguments pour légitimer le rejet des étrangers sans avoir à avouer leur propre xénophobie ». Cela est un peu court et unilatéral et semble faire peu de cas d’un prosélytisme – certes minoritaire (pas partout !) mais actif. De même, côté intégration, on peut aussi manier avec prudence cette observation : « Souvent, l’affirmation ostensible de ces différences par certains immigrés et une partie de leurs descendants peut être une forme de résistance aux discriminations et aux violences qu’ils subissent. »

C’est en 60 questions que Sophie- Anne Bisiaux se propose d’éclairer le débat public. 60 questions organisées en trois parties : définitions et repères ; les thèmes de l’invasion puis de la sécurité déclinés en plusieurs entrées : frontières, crise environnementale, union européenne, agence Frontex, asile, droits des étrangers, prestations sociales, identité, islam, intégration, délinquance, femmes, marché du travail, réseaux de passeurs, contrôles et secours en Méditerranée, externalisation, centre de tris, importance des transferts de fonds, développement et migration, coût de l’immigration, retour et nouvelles migrations…

Depuis des décennies, les politiques migratoires, sans imagination et toujours répressives, font du migrant un… « ennemi ». Elles sont inefficaces, ne stoppent rien, ne contrôlent rien, obligent les candidats à l’exil à s’adapter, à ruser, à détourner les procédures, à multiplier les risques et les souffrances (à commencer par les femmes migrantes), mais aussi aggravent les tensions dans la société, voire font des immigrés « l’avant-poste du devenir social » en matière d’exclusion, de paupérisation ou par « l’expérimentation des nouvelles technologies biométriques ».

Dès lors, l’importance de cette publication ne réside pas dans la seule nécessité d’« informer, débattre, déconstruire les discours de haine, démonter les préjugés, fournir des chiffres, croiser les sources d’information, rencontrer l’autre », etc. Il montre surtout qu’« il est temps de promouvoir de nouveaux modes de pensée », temps de « proposer une alternative », écrit l’auteur dont l’ouvrage s’inscrit dans le cadre des « États généraux des migrations » qui rassemble « des centaines d’associations et de collectifs, locaux ou nationaux, […] qui s’engagent depuis 2017 pour un changement radical de politique migratoire », et de « construire un réseau de municipalités accueillantes susceptible d’influencer le débat public concernant les migrations au niveau de l’Union européenne et de ses États membres ».