Éditorial

Une jeunesse en mouvement

L'invasion de l’Ukraine par l’armée russe le 24 février dernier a plongé la rédaction d’Hommes & Migrations dans la stupeur. Pour prendre du recul face à cette actualité brûlante, la rédaction a choisi de rythmer l’année 2022 par des articles de fond permettant d’identifier les questionnements émergents et de répondre à nos questions sur les déplacements dus à la guerre, sur les routes migratoires qu’empruntent les réfugiés, sur les solidarités et les modalités d’accueil en urgence qui se manifestent dans les pays frontaliers de l’Ukraine et à l’échelle de l’Union européenne. Les imaginaires que ces mouvements de populations réactivent malgré des décennies de guerres, en Europe et dans le monde, seront réfléchis en regard d’autres exodes récents qui ont peu suscité l’émotion des opinions européennes, voire une hostilité déclarée.

rédactrice en chef de la revue

Migrer pour se construire un avenir

Les jeunes sont de plus en plus nombreux à vouloir migrer à l’étranger. La revue confronte, dans ce numéro, leur projet migratoire et leur parcours de vie en analysant comment leurs stratégies de départ à l’étranger diffèrent selon leurs profils socio-éducatifs, les contextes de leur pays de départ et, surtout, selon les politiques migratoires et d’accueil des pays où ils souhaitent s’installer. Le Canada, et tout particulièrement la province de Québec, s’avère emblématique des pays de destination ciblés par ces trajectoires de jeunes en formation ou à la recherche d’une meilleure insertion professionnelle. Toutefois, le pays est lui-même l’objet d’une analyse critique de ses capacités à insérer les jeunes sur le marché du travail et à lutter contre des discriminations systémiques et indirectes.

Les échanges de jeunes européens

Depuis sa création en 1987, le programme Erasmus + favorise la mobilité de plus de 12 millions de jeunes, étudiants, apprentis, professionnels et chercheurs, et contribue largement aux échanges internationaux de pratiques éducatives et culturelles variées. Concernant 33 pays et de nouvelles coopérations avec d’autres continents, la direction de l’agence Erasmus + présente les nouvelles orientations du programme pour la période 2021-2027 qui «s’inscrit dans les grands défis sociétaux de l’Union européenne». Il a pour objectif une circulation accélérée des jeunes européens et un développement des réseaux transnationaux qui seront mobilisés comme ressources dans leur parcours professionnel.

Faire patrimoine des mobilités des jeunes

C’est aussi pour la revue l’occasion d’évoquer le partenariat entre l’agence Erasmus + et le Musée qui pourrait se nouer autour d’une histoire européenne des mobilités de jeunes. Il s’agirait de constituer un patrimoine vivant, composé des témoignages des bénéficiaires de ce programme depuis plus de 35 ans, de recueils de données pluridisciplinaires, d’une variété d’objets pouvant incarner cette construction d’une Europe éducative et culturelle «par le bas». À l’heure où l’Europe est menacée militairement, à ses frontières et en son sein, par des courants extrêmes de tout bord, ce levier pour la jeunesse, encore peu visible, parfois perçu comme élitiste malgré les efforts de démocratisation, reste un des maillons forts de la construction européenne et de la pédagogie de la pluralité.

Dire par dessin les bouleversements du monde

Le portfolio du numéro est consacré à l’une des acquisitions récentes du Musée : les dessins de presse de l’artiste originaire de Turquie, Selçuk Demirel. Réalisés à partir des années 1980, ces dessins traitent, avec une valeur universelle, des bouleversements du monde et de leurs conséquences en termes de migrations et de relation à l’altérité. Sébastien Gokalp souligne dans son introduction «cette approche subjective de l’actualité, presque intime, loin des clichés, [qui] caractérise son œuvre». Les commentaires de ces dessins – qu’aucun texte n’accompagne jamais – ont été confiés à des personnalités scientifiques proches de la rédaction de la revue et aux professeures-relais du Musée qui ont apporté aux dessins une contextualisation historique et des interprétations de leur forme esthétique. Ces jours-ci, dans le journal Le Monde, Selçuk publie un dessin intitulé «Violence» où figure le marteau gigantesque surplombant des débris de voitures fracassés et éparpillés, recouverts d’un glacis blanc, celui de la terreur que suscite cette agression militaire.