Article de dossier/point sur

Introduction : Ces jeunes qui migrent au Canada

L’objectif de ce dossier scientifique est d’éclairer, dans une perspective multidisciplinaire, ces migrations de jeunes vers le Canada, particulièrement vers le Québec, qu’ils proviennent des pays dont l’émigration est fortement visibilisée dans les débats publics actuels que des pays qui se vivent seulement comme des territoires d’immigration.

directrice de recherche en sociologie, Aix-Marseille Université - CNRS, Laboratoire d'économie et de sociologie du travail (LEST)
professeure titulaire de géographie, département de géographie, Université Laval
maître de conférences en sociologie, Université Aix-Marseille, chercheur au Laboratoire d'économie et de sociologie du travail (LEST)
doctorante en sociologie de la jeunesse, Centre Urbanisation Culture Société, Institut national de la recherche scientifique

Les auteurs analysent conjointement les tendances démographiques, les politiques migratoires, les parcours et les expériences de différents groupes de jeunes migrants, afin de restituer le paysage et les expériences migratoires de la jeunesse dans toute sa diversité. Pourquoi le Canada représente- t-il ce désir d’ailleurs et une terre d’immigration pour la jeunesse mondiale, dont celle de la France ? Comment se caractérisent les expériences vécues de ces jeunes migrants au travail ou en formation au Canada ? Comment traduire les parcours migratoires de ces jeunes ? Comment les contextes politiques mondiaux, nationaux et locaux colorent les perspectives et les expériences de ces jeunes en migration ? Dans quels projets migratoires et parcours de vie s’inscrivent le Canada et le Québec ? Comment ces projets migratoires de jeunes correspondent ou non aux objectifs des politiques migratoires du Québec et du Canada ? C’est aussi dans le cadre de la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec que les auteurs ont eu l’occasion de se rencontrer et d’échanger sur ces questions. Les coordinateurs de ce dossier scientifique ont été attentifs à valoriser des chercheurs qui avaient engagé des réflexions articulant jeunesse, migration versus mobilité et formes d’emploi, et ce, dans un souci de compréhension des trajectoires empruntées. Ces échanges ont donné lieu à un travail conséquent permettant de « dénationaliser les catégories », soit réfléchir, interroger et discuter ensemble les termes de migration, jeunesse et emploi. Les termes eux-mêmes, ainsi que les paradigmes d’interprétation dans lesquels on les pense sont mis en question dans les lignes qui suivent.

Le Canada, un pays de destination "rêvée"

Représentation d’un désir d’ailleurs contemporain, le Canada est la destination «rêvée», autant pour une grande partie de la jeunesse des pays dits du « Sud », comme le Maroc, que ceux du «Nord» – et aussi plus riches – comme la France, ayant un projet ou une envie de migration internationale.

Qu’elle s’inscrive dans une vision ou un parcours à plus ou moins long terme, la migration vers le Canada peut répondre à un désir de découverte et d’exploration du monde, de formation et d’études, de recherche d’emploi en contexte de crise économique, d’acquisition d’une expérience professionnelle, de parcours amoureux, ou d’une volonté de quitter des pays jugés trop peu soucieux des discriminations faites aux jeunes minorés.

Pays dont le développement socio-économique est intimement lié à son immigration historique comme récente, le Canada comptait en 2016 près de 21 % de sa population née à l’étranger (recensement de 2016) et délivre environ 270 000 cartes de résident permanent par an. Aussi, à partir des années 2000, de nombreux observateurs ont souligné une forte augmentation de l’immigration temporaire, entraînée en particulier par la création de programmes destinés aux travailleurs étrangers temporaires par le biais de recrutement d’étudiants étrangers et le développement des permis vacances-travail. C’est ainsi que les voies permettant la migration vers le Canada se sont multipliées, triant les migrants à l’entrée dans de multiples catégories et sous-catégories qui offrent des droits et des possibilités qui diffèrent.

Or la croissance des migrations temporaires qui cohabite avec le maintien de la migration offrant un statut permanent au Canada s’inscrit dans la mondialisation et l’augmentation de la mobilité des personnes et des jeunes en particulier. Entre 2014 et 2018, près de la moitié des nouveaux résidents permanents au Québec avaient entre 15 et 34 ans, et la France comptait parmi les premiers pays de naissance de ces derniers. Les jeunes (15-29 ans) représentaient entre un tiers et 85 % des résidents temporaires sur la même période selon les sous-catégories d’admission. Les jeunes migrants français représentaient le principal contingent de cette migration ayant un titre de séjour temporaire.

Ces chiffres soulignent l’attractivité du Québec pour les jeunes Français où ils bénéficient d’un statut privilégié en vertu de nombreuses ententes permettant un accès aux droits sociaux (assurance-maladie, échange de permis de conduire, frais de scolarité réduits), une insertion accélérée en emploi ou en formation et la reconnaissance des diplômes pour exercer des professions fortement régulées (métiers de la santé, de l’ingénierie, de l’enseignement et de la recherche).

Diversité des mobilités, jeunesses et emplois

Les termes « immigration », « jeunesse » et « emploi » au singulier sont à discuter. Plutôt qu’« immigration », le binôme « migration »/« mobilité » nous apparaît plus proche de la réalité observée, en particulier quand on parle des jeunes ; plutôt que le terme « jeunesse » au singulier, les « jeunesses » au pluriel reflètent mieux la réalité de la diversité sociale, culturelle, territoriale et chronologique des jeunes; et enfin plutôt qu’« emploi », nous préférons mettre en évidence la diversité des formes de travail et d’emploi – avec leurs modes variés de gestion, de protection, d’organisation collective – qui coexistent actuellement sur les marchés du travail dans différents contextes.

Étant donné que les jeunes entre 15 et 24 ans représentent entre 10 % et 12 % des migrants internationaux et que l’âge médian des migrants internationaux est de 39 ans, nous sommes davantage susceptibles, lorsqu’on travaille sur des thématiques au coeur de l’immigration et la mobilité telle que la mondialisation, d’interviewer des jeunes. Mais la catégorie « jeunesse » n’est pas la même selon les formes de migration/mobilité que ces jeunes empruntent (asile politique, études, travail, séjour de césure, expériences à l’étranger…), les raisons qui les ont poussés à partir (sécurité, discrimination, choix d’études, chômage, amour…) et, pour certains, selon les formes d’emploi, de marchés du travail et donc des territoires dans lesquels ils réalisent leur migration/ mobilité (emploi/travail saisonnier, travail informel, contrat organisé par l’employeur, entrepreneur…).

Si la mobilité géographique ajoute des particularités au passage à la vie adulte, provoquant de fait des expériences relationnelles d’autonomie et d’indépendance spécifiques aux jeunes mobiles, par contre, le processus migratoire se réalise sans les « autruis significatifs » avec qui ils construisent couramment leurs parcours, tel que décrit dans l’article de Stéphanie Atkin et María Eugenia Longo.. « Grandir dans la mobilité géographique… » est donc un processus distinct dans la mobilisation des ressources. Grandir dans la mobilité implique ainsi d’autres expériences, comme celle de l’expérience scolaire, que ce soit pour les jeunes et les adultes, qui se traduit par des problématiques liées au déclassement, reclassement des qualifications et des diplômes.

Dans ce processus migratoire, nous décrivons donc plusieurs étapes. L’autre étape essentielle est celle de l’installation des adultes, et en particulier le cas des Français installés au Québec. Dans son article, Mustapha El Miri parle d’une « émigration de plus en plus visible », abordant cette question de la « visibilisation » des Français à l’étranger et ce, au moment des élections. Il précise que cette « visibilisation du nombre important des Français de l’étranger lors des élections présidentielles et législatives de 2012 a interpellé la société française, qui se vit principalement comme une terre d’accueil et non de départ. Comme le notait Hervé le Bras, nous sommes “habitués à envisager la France comme un pays d’immigration, nous sommes mal armés vis-à-vis du phénomène de l’émigration”. L’émigration française relève de l’impensé politique voire scientifique et elle est souvent présentée comme un fait historique révolu». La question des trajectoires est essentielle car elle permet de balayer toutes les étapes de la vie et y compris le statut de ces mobilités.

Mesurer l'insertion socioéconomique

Charles Fleury et Sylvain Luc expliquent qu’entre 2006 et 2017, le Québec a admis plus de 71 000 réfugiés. « Ceux-ci représentent près de 12 % de l’ensemble des immigrants admis au Québec au cours de cette période. Parmi ces réfugiés, plus du quart (28 %) étaient âgés de 14 ans ou moins et ont été scolarisés au moins en partie au Québec. C’est davantage que dans les autres catégories d’immigrants. Malgré l’importance de la migration juvénile chez les réfugiés, on connaît très peu de choses sur leur parcours d’insertion socioéconomique à l’âge adulte. » Le travail proposé permet d’examiner quelques indicateurs d’insertion socioéconomique des jeunes réfugiés âgés de 18 à 34 ans et arrivés au Québec durant l’enfance. « S’appuyant sur les données du recensement de 2016 et celles de la base de données longitudinales sur l’immigration, il s’agit plus précisément de savoir dans quelle mesure leur niveau de scolarité, leur activité sur le marché du travail et leur revenu d’emploi diffèrent de ceux des autres jeunes québécois, issus ou non de l’immigration. »

Mais qu’en est-il du succès de ces jeunes qui migrent pour réussir, dans un contexte où la migration vers l’Europe ne garantit plus la mise en valeur des qualifications. Stéphanie Garneau montre, notamment, que le Maroc est aujourd’hui le troisième pays de naissance des immigrants au Québec, derrière la France et Haïti. Elle explique que « la province francophone exerce en effet un attrait incontestable auprès des jeunes étudiant·e·s et travailleur·euse·s marocain·e·s. Cela n’est certes pas étranger aux diverses politiques migratoires que l’État québécois a adoptées depuis une dizaine d’années à la faveur des travailleur·euse·s et étudiant·e·s étranger·ère·s qualifié ·e·s. Mais la compréhension de cet attrait serait incomplète si n’était également pris en compte le contexte de départ, caractérisé par des décennies de néo-libéralisation de l’économie marocaine (privatisations, chômage des diplômés) et de dégradation de l’éducation et de l’enseignement supérieur, lesquelles pèsent sur les aspirations à la réussite sociale des jeunes et leurs parents ». Le processus migratoire est donc plus complexe qu’une simple mobilité, il est lié à des questions liées à un contexte multi-niveau de la gouvernance au Canada. En présentant un tel contexte, Adèle Garnier montre notamment que les jeunes réfugiés sont souvent affectés disproportionnellement par le chômage et le sous-emploi, en particulier dans les premières années qui suivent leur arrivée dans leur pays d’accueil.

Canisius Kamanzi, Marie-Odile Magnan et Tya Collins soulignent pour leur part la « réussite exceptionnelle des étudiants canadiens d’origine immigrée». En partant des parcours scolaires des étudiants canadiens issus de l’immigration, ils proposent de dresser un portrait général de la situation de cette «insertion scolaire réussie ».

Dans l’analyse de ces processus migratoires, les temps sociaux, les trajectoires sont découplés entre l’arrivée, la scolarité, l’insertion. Aline Lechaume, Nicole Gallant et Johanna Cardona proposent de faire un portrait statistique en précisant qui sont ces jeunes qui s’installent durablement au Québec et d’interroger leur devenir. À partir du portrait statistique descriptif des caractéristiques des jeunes immigrants qui s’établissent au Québec et en utilisant les données de l’Enquête sur les cheminements d’intégration en emploi des nouveaux arrivants (Ecina). «Cette enquête représentative réalisée en 2015 fournit des informations détaillées sur 7 437 immigrants ayant obtenu la résidence permanente au Québec entre avril 2012 et juillet 2013 ; les participants incluent 4 742 répondants ayant immigré avant d’avoir 35 ans, ce qui permet de dresser le portrait de ces jeunes immigrants tout en examinant leurs spécificités par comparaison avec les immigrants moins jeunes. »

Migrer est aussi un processus qui mobilise des représentations culturelles, comme l’indique le propos d’un jeune réfugié arrivé au Québec : « Je sais que le Canada n’est pas un pays comme les autres». En saisissant les représentations médiatiques des jeunes demandeurs d’asile (ainsi que leurs enfants) qui sont arrivés au Canada à la suite d’un passage irrégulier à la frontière entre 2017 et 2018, après avoir compilé plus de 1 000 articles provenant de 7 journaux (4 québécois et 3 ontariens), Sule Tomkinson analyse les perceptions et les revendications de ces demandeurs d’asile sur les dispositifs d’accueil

La section « Champs libres » de ce numéro permet d’ouvrir un autre dialogue sur ces jeunesses qui voyagent, travaillent, bougent, témoignent artistiquement et laissent des traces comme des sillages. C’est l’occasion de découvrir des cartes qui illustrent où sont les nouveaux arrivants et leurs descendants, réalisées par Danièle Bélanger et Guillaume Haemmerli, les dispositifs d’insertion proposés par Place aux jeunes en région décrits par Stéphane Lesourd, les mots prononcés par le cinéaste québécois Justice Rutikara au cours d’un entretien réalisé par Laurence Simard-Gagnon, un compte-rendu de l’ouvrage Là où je me terre de Caroline Dawson, réalisé par Victor Piché.