Parcours

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Des étrangers aux immigrés

Sous la Troisième République, la loi du 26 juin 1889 rend obligatoire le double droit du sol. L’enfant né en France d’un parent né en France est français de plein droit dès sa naissance. Deux raisons ont motivé cette loi :

  • en métropole, il s’agit d’empêcher que des enfants français, nés de parents étrangers, puissent abandonner la nationalité française afin de se soustraire à un service militaire d’une durée de cinq ans, puis réduit à trois ans ;
  • en Algérie, les colons français redoutent d’être supplantés numériquement par les étrangers européens. C’est pourquoi la loi prévoit que les descendants de ces derniers deviennent automatiquement français à leur majorité.

L’immigration se poursuit encore à la fin du XIXe siècle. Il s’agit principalement de travailleurs belges et italiens qui viennent combler le « manque de bras ». À cette même époque, le monde entier subit une longue crise économique. Elle entraîne, en France, une flambée xénophobe : les étrangers sont l’objet de pamphlets hostiles ainsi que de violences collectives. À partir des années 1880-1890, la présence de la main-d’œuvre étrangère est perçue comme un problème. La figure de l’immigré devient, avec le Juif – y compris français, comme l’était le capitaine Alfred Dreyfus –, le bouc émissaire par excellence.

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Immigrants italiens à la gare de Modane. Carte postale © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration
Immigrants italiens à la gare de Modane. Carte postale. Coll. Musée national de l'histoire de l'immigration.
©EPPPD-MNHI

Repères chronologiques

1881

Le nombre d’étrangers installés en France représente près de 2,7% de la population totale, soit plus de 1 million de personnes.

1889

Le double droit du sol est instauré par loi du 26 juin 1889.

1893

Publication, par l’écrivain nationaliste Maurice Barrès, d’un pamphlet intitulé Contre les étrangers. Massacre à Aigues-Mortes, par des ouvriers français, d’au moins une dizaine de saisonniers italiens travaillant dans les marais salants.
Adoption d’une loi « relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail national » : les étrangers qui arrivent pour travailler doivent faire une déclaration de résidence.

1901

Les Italiens forment la communauté étrangère la plus nombreuse, devant les Belges.

 


 

Travail et immigration

À la fin du XIXe siècle, l’immigration prend en France une nouvelle ampleur : le recensement de 1881 montre que plus de 1 million d’étrangers vivent sur le territoire. Dans les filatures, les mines et les villes industrielles du Nord, la présence belge, essentiellement flamande, est massive. Les immigrés sont également nombreux à Paris, notamment sur les vastes chantiers lancés par le préfet Haussmann pour moderniser la capitale. Des travailleurs italiens participent à la construction des Chemins de fer du Midi ou se consacrent au commerce et autres services. Parallèlement à cette arrivée de travailleurs peu qualifiés, les élites, venant d’Europe ou d’horizons plus lointains, continuent à affluer. À cette époque, le travail, l’engagement syndical comme l’école républicaine représentent un puissant levier d’intégration pour les immigrés et leurs enfants.

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Photographie : Espagnol raccommodeur de porcelaines et de parapluies
M., Espagnol raccommodeur de porcelaines et de parapluies, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2012.61.8
© EPPPD-MNHI

Migrations saisonnières, migrations temporaires

Dans les campagnes françaises du début du XIXe siècle, les migrations, fréquentes, se limitent à de courtes distances. Peu à peu, leur champ augmente : elles s’effectuent vers d’autres régions rurales puis vers les grandes villes et la capitale. Certains groupes, comme les commerçants auvergnats ou les maçons de la Creuse, pratiquent longtemps la migration temporaire vers Paris avant de s’y fixer dans la seconde moitié du XIXe siècle. La migration temporaire n’est toutefois pas pratiquée seulement par des Français. Ainsi des jeunes Savoyards venus ramoner les cheminées des villes françaises, ou encore des ouvrières espagnoles qui traversent les Pyrénées pour confectionner des espadrilles à la morte-saison.

Crise xénophobe et antisémite

La démarcation entre, d’une part, les étrangers et, d’autre part, les citoyens français à qui sont conférés des droits politiques et sociaux s’accentue au début de la Troisième République. Dans l’opinion publique, des idées xénophobes et antisémites se répandent. Au même moment, la figure de l’étranger est volontiers assimilée à un « ennemi de l’intérieur ». De prétendues théories scientifiques nourrissent le racisme.
Dans le monde ouvrier, les émeutes anti-Belges se multiplient dans le Nord, comme à Lens en 1892. Dans le même temps, de nombreux actes de violence frappent les Italiens. Le point culminant est la tuerie perpétrée dans les marais salants d’Aigues-Mortes en 1893 : elle a causé la mort de huit ouvriers italiens selon le bilan officiel, sans doute bien plus en réalité. L’assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste Caserio, l’année suivante, renforce encore les préjugés sur la figure de l’Italien criminel et dangereux.

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Forain, Psst...! (série), 17 décembre 1898, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2010.28.46
Forain, Psst...! (série), 23 juillet 1898, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2010.28.25
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Antisémitisme

Les Juifs sont particulièrement exposés à la montée de la xénophobie dans la France de la fin du XIXe siècle. Considérés comme des figures de l’altérité, ils sont jugés d’autant plus menaçants, en ces temps de dépression économique, que leur assimilation dans la société française progresse rapidement, y compris dans la haute fonction publique et au sein de l’armée. Les Juifs français eux-mêmes tiennent à se démarquer des nouveaux migrants des communautés juives qui fuient les pogroms de l’Empire tsariste à partir de 1881 et s’installent en Europe de l’Ouest.

Théâtre populaire et représentations racistes

En cette fin de siècle, le théâtre de marionnettes jouit d’une grande popularité en France. Il met en scène des personnages dotés de traits stéréotypés, caricaturant une altérité tant physique que culturelle. Grâce à des acteurs faits de fil et de bois, les théâtres populaires français exhibent ainsi la figure de l’usurier juif, du « Nègre » clownesque ou encore de l’Arabe menaçant. Ce théâtre véhicule des représentations xénophobes dans un contexte de montée du racisme et de l’antisémitisme.

Passages et émigrations

La France est, à la fin du XIXe siècle, le plus grand pays d’immigration en Europe. Elle constitue aussi une terre de transit et de départ, à une époque où les Européens sont toujours plus nombreux à entreprendre des migrations transatlantiques : environ 38 millions d’entre eux partent vers les Amériques entre 1881 et 1914. Dès le milieu du XIXe siècle, les horaires des bateaux à vapeur du Havre sont annoncés dans les journaux de tous les grands centres d’émigration. Pour répondre au transit d’émigrants vers l’Amérique, la loi de 1855 crée un corps de « commissaires spéciaux chargés de l’émigration ». Le Havre demeure longtemps le port de départ le plus important. La ville reste associée à la Compagnie française maritime, rebaptisée en 1864 Compagnie générale transatlantique. À partir de 1887, Marseille devient le premier port français pour les émigrants qui cherchent à rejoindre les Amériques.